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# 15 / L’incertitude, l’espoir et la colère chez les apprentis comédiens du conservatoire

photo Marine Lgh

Eux aussi sont privés de la scène et s’inquiètent de l’avenir. Comme tous les élèves, les apprentis comédiens de la classe d’art dramatique du conservatoire de Rouen sont confinés chez eux pendant la crise sanitaire. Témoignage de Lia, Tanguy et Paul.

Les premiers jours, il y a eu la sidération et la peur. Deux sentiments qu’ont partagé Lia et Tanguy (en photo © Marine LGH). La première « déteste rester enfermée. Quand on choisit le théâtre, c’est que l’on aime bouger, voir des gens, être au contact des autres. C’était la déprime ». La peur a ensuite laissé la place à l’incertitude. « Je pense désormais à notre formation. Nous allons louper presque un semestre. Est-ce que l’on va encore progresser ? Nous ne savons pas non plus quand les théâtres vont rouvrir. Une chose est sûre : nous ne sommes rien sans le public ». Tanguy, lui, se demandait comment il allait pouvoir remplir ses journées. Pour Paul, pas de trop de stress. « Je ne prenais pas trop le truc au sérieux. C’était assez facile. Aujourd’hui, c’est compliqué. C’est vraiment très long ». 

Lia, Tanguy et Paul sont trois élèves de la classe d’art dramatique du conservatoire de Rouen. Depuis la mi-mars, leur quotidien est bouleversé à cause de la pandémie. Pas de cours mais des rendez-vous avec leur enseignant, Maurice Attias, plusieurs fois par semaine par visioconférence. Un moment qu’ils attendent avec impatience. « Monsieur Attias est une personne qui nous stimule », confie Paul. « Cela remotive », selon Lia. Cependant, suivre des cours sur son écran n’est pas une chose aisée. « Nous effectuons un travail de lecture à la table qui n’est pas du tout évident », indique Tanguy.

Une énergie créatrice

L’inspiration ne s’est pas envolée pour les trois apprentis comédiens même si « l’ennui peut arriver trop facilement. Il ne faut pas se laisser tomber dans le rien », remarque Paul. Chacun a réussi à transformer cette angoisse en énergie positive et créatrice. « Ce confinement crée de l’inventivité », ajoute l’élève du conservatoire. Tanguy lit, regarde des films et des captations théâtrales, poursuit son travail personnel et « profite de faire des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire ». Il s’est lancé dans le montage d’un feuilleton théâtral à partir des images tournées lors des travaux de fin d’année consacrés à Graal Théâtre de Florence Delay et Jacques Roubaud.

Lia, également multi instrumentiste, peut se consacrer davantage à la musique. Elle partage son temps entre deux arts. Elle s’installe à sa fenêtre avec son ampli et son micro pour offrir des concerts à ses voisins. « J’ai fait un hommage à Christophe. Les gens ont applaudi. C’était assez fort mais cela reste étrange d’avoir un public à distance ». L’élève écrit également une pièce de théâtre qu’elle aimerait bien mettre en scène. À la fin de cet épisode, Lia veut « ressortir avec plein d’idées et plein de projets ».

Quant à Paul, il écrit beaucoup. « J’essaie aussi de garder un minimum de routine, de refaire des exercices. Je ne veux pas perdre ce que j’ai appris. Il est important de garder une habitude de travail et une rigueur. Je suis en contact le plus possible avec les élèves de la classe. Je ne veux pas m’enfermer dans un cercle de création qui ne plaira qu’à moi. J’ai besoin du retour des autres. J’essaie de jouer mais tout seul et devant personne, c’est compliqué. Je m’oblige à créer une chose par jour ».

Pas de vie sans théâtre et sans liberté

Cette période de confinement, quelque peu déstabilisante, conforte leur choix de devenir comédien ou comédienne. Tous les trois ont besoin d’art et culture. « C’est difficile de vivre sans, remarque Tanguy. Pour vivre, il faut manger, boire… Aujourd’hui, nous sommes soumis à des règles de confinement et un peu hébétés face à ça. Mais nous savons qu’il y a de bonnes raisons ». Tanguy et Paul souhaitent revenir sur les plateaux le plus vite possible. Lia met « au défi quiconque de s’en sortir sans théâtre, sans musique, sans film. C’est assez violent d’entendre que nous faisons partie d’un secteur non essentiel. On comprend bien ce que cela veut dire mais si on n’a pas de culture, on déprime ».

Tanguy, Lia et Paul sont toujours en formation, aux portes du monde professionnel pour entrer dans un écosystème davantage fragilisé par la crise sanitaire. « Nous le savons depuis le début, commente Tanguy. Ce sera pour nous une vie de bohème. Les revenus ne sont pas élevés au début. Le métier est périlleux mais la passion nous sauve ». Lia craint de « devoir accepter des projets qui véhiculent une idée qui me répugne ». Paul, élève de 3e année, a le vertige quand il pense à son avenir et se demande s’il « y aura une place pour les nouveaux venus. Ce sera une année compliquée pour la culture ».

Pour ces jeunes qui ont envie de croquer la vie à pleines dents, il y a un espoir. Celui de voir pour Tanguy que cette période dramatique «  nous servira de leçon ». Chez Lia, il y a aussi la colère. « Elle est là depuis pas longtemps. Je respecte les règles parce que je pense aux autres, à mes grands-parents mais on nous prend pour des cons. Dans des villes, des bancs sont enlevés et des couvre-feux sont instaurés. On nous infantilise. Je veux croire que c’est une pause dans la vie mais je veux reprendre ma liberté. Je ne veux pas vivre dans une dictature ».


Le Conservatoire de Rouen accueille au sein de l’établissement un département d’art dramatique et permet un enseignement allant d’une initiation à une maîtrise du répertoire. Cet apprentissage se conçoit sous deux formes : la formation globale au théâtre et la formation d’acteur.
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