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Marie Nimier : « j’aimais une mère assez particulière »

Photo : Francesca Mantovani

L’histoire a mal commencé. Après la naissance de sa fille, Marie, Nadine Nimier part se reposer seule au bord du lac Léman. La suite sera compliquée parce que les liens seront fragiles. Vingt ans après La Reine du silence où elle évoquait le rapport à son père, Roger Nimier, Marie Nimier dresse le portrait de sa mère dans Le Côté obscur de la reine, paru le 2 janvier 2025 aux éditions Mercure de France. La romancière fait le récit d’une relation douloureuse avec une femme lumineuse et une mère qui se lamentait et faisait du chantage affectif. Marie Nimier sera au festival Terres de paroles samedi 17 mai à l’abbaye de Jumièges pour parler du Côté obscur de la reine et des Confidences tunisiennes recueillies lors de deux séjours. Entretien.

À la fin de l’écriture de La Reine du silence, aviez-vous déjà en tête Le Côté obscur de la reine ?

Non, pas sur le moment mais l’idée est arrivée assez vite. Avec La Reine du silence, j’étais dans la réflexion sur le rapport au père. J’ai mis beaucoup de temps à écrire ce livre. Je l’ai commencé en 2000 et il a été publié en 2004. Le Côté obscur de la reine est terminé depuis huit ans. J’ai attendu la disparition de ma mère pour le publier. Je ne désirais pas le faire de son vivant.

Est-ce que l’écriture de ce livre a permis un soulagement ?

Non, je reste mitigée quant à cette idée que les livres soignent. Il y a les thérapeutes pour cela. Ce livre m’a quand même permis de réfléchir sur les maux, sur mon parcours. Tout ce travail a brassé beaucoup de choses même s’il ne les remet pas toujours en place. Ma volonté a été de partager avec les lecteurs une histoire.

Ce livre semble écrire d’un seul souffle.

Pas du tout. J’ai écrit pendant cinq ou six ans. Ce fut un long travail que remettre tout ça dans l’ordre. Des passages ont été écrits il y a très longtemps. J’ai fait en sorte que ce livre apparaisse en effet comme un flow de pensées. J’ai écrit sur ce que je ressentais à ce moment. C’est ma vérité du présent. Pour cela, j’ai dû faire la part des choses. Cette ambivalence est insupportable. On est bien obligé de le supporter et d’essayer de comprendre pourquoi c’est difficile à supporter.

Vous l’écrivez au début du roman, la mère reste un sujet inépuisable ?

C’est sûr et cela se confirme toujours. À la fin des rencontres, les gens viennent me parler de cette relation. Il y a une énergie à vouloir communiquer son histoire, à se reconnaître dans l’histoire de l’autre. Et ce n’est pas seulement la relation entre une mère et sa fille, c’est aussi la relation entre une mère et son fils. Ce sont souvent ceux qui ont pris leur part de responsabilité avec leur mère vieillissante qui ont besoin de parler.

Vous avez parfois des mots terribles. Lorsque votre mère décède, vous écrivez : hors d’état de nuire.

C’est la vérité toute crue. Ces mots font comprendre que des relations ne peuvent se réparer. Même si on aimerait qu’elles s’apaisent. Or ça ne marche pas parce qu’elles ont mal commencé.

Vous présentez votre mère comme une personne avec un côté pile, une femme généreuse, et un côté face, plus agressif.

Dans ce livre, je pars de l’enfance pour aller jusqu’à la vieillesse. Le tout est un peu ramassé et fait en effet apparaître deux facettes en même temps.

Lorsque vous avez écrit, les souvenirs étaient-ils toujours aussi présents ?

Les souvenirs se travaillent aussi. Je suis romancière. Lorsque je pars de ma vie pour écrire, je garde quelques morceaux de cette vie. Vient ensuite le travail de la langue pour les mettre en forme. Ce livre n’est pas un témoignage mais un roman. J’ai réinventé en essayant de rester en prise avec des sensations et des bouts de souvenirs. Il faut alors trouver les mots, organiser les choses pour raconter une histoire.

C’est un mot que vous employez. Vous vous êtes blindée.

C’est un mot sorti de la bouche des personnes qui m’entouraient. J’étais dans un état de fragilité. Je voulais essayer de réparer, de comprendre. Mais se blinder n’est pas la meilleure solution. On fait comme on peut. Il y a toujours des failles, des souterrains où les choses passent parce qu’elle sont mal goupillées depuis l’enfance.

Aviez-vous la volonté d’apporter une définition de l’amour maternel ?

Non. J’aimais une mère assez particulière. C’est une histoire singulière et j’ai raconté ce que j’ai pu vivre avec les non-dits, ce qu’engendrent tous les récits qui ne recouvrent pas la vérité de l’enfance. De tout cela, le corps s’en souvient.

Vous parlez de gâchis.

Oui, c’est du gâchis. Je trouve que ma mère était une femme intelligente, très intéressante. Pour les autres, elle a été très aimante et très aidante. Pour ses enfants, ce n’était pas ça. Mais c’était compliqué pour elle aussi.

Au texte vous ajoutez des photos, des dessins… 

J’ai souhaité être publiée dans cette collection Traits et portraits parce qu’elle permet d’insérer une iconographie. Après le décès de ma mère, j’ai retrouvé une masse de documents, des choses de l’enfance qui étaient des preuves d’amour démesuré des enfants à leur mère. Elle était notre fée. Ces images démontrent que je n’ai pas déliré, que je ne suis pas folle.

Infos pratiques

  • Samedi 17 mai à 11 heures avec Rachid Benzine et Thomas B. Reverdy. Lecture par Florence Loiret Caille. Tarif : 5 €
  • Samedi 17 mai à 18h30 avec Éva Marzi et Azza Filati. Gratuit
  • Rencontres à l’abbaye de Jumièges
  • Réservation au 02 32 10 87 07 ou en ligne