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Clément Hervieu-Léger : « c’est une fête du théâtre »

Après Monsieur de Pourceaugnac de Molière, Clément Hervieu-Léger a choisi une des pièces les moins connues et peut-être la plus audacieuse de Carlo Goldoni (1707-1793). Une Des Dernières Soirées de carnaval se déroule en 1762 à Venise chez Zamaria, le tisserand. C’est une soirée entre amis durant laquelle les invités discutent, mangent, jouent aux cartes, dansent… Anzoletto annonce là qu’il va quitter Venise pour Moscou où il est attendu par des artisans italiens. Le jeune dessinateur de tissus va ainsi briser un cœur, celui de Domenica, la fille de Zamaria. Anzoletto est un peu Goldoni qui vient d’accepter l’offre de la Comédie des Italiens à Paris. Clément Hervieu-Léger, sociétaire de la Comédie-Française, réunit 15 comédiens et comédiennes de sa compagnie des Petits-Champs en costume d’époque. Entretien avec le metteur en scène avant la représentation vendredi 14 février au Cadran à Évreux avec Le Tangram.

Est-ce Molière qui vous a amené à Goldoni ?

Oui, c’est en partie Molière qui m’a amené à Goldoni. J’avais envie d’un esprit de troupe. Dans les pièce, il y a souvent un grand premier rôle. Goldoni a cette qualité rare de parler à un groupe. Dans Une Des dernières Soirées de carnaval, il n’a pas de premier rôle. Je trouve que peu d’auteurs parlent de ce qui fait société, de ce vivre ensemble, une expression un peu galvaudée aujourd’hui. Goldoni est un auteur rare, encore assez méconnu, qui a été important dans la construction du naturel au théâtre. Il s’inscrit dans cette révolution sur le naturel qui naît avec Molière avec des personnages, ressemblant davantage aux spectateurs. Il fait un grand pont jusqu’à Tchekhov. Goldoni va mettre fin à cette commedia dell’arte. Cette modernité dans la parole est assez stupéfiante. Or, en Italie, il n’est plus compris. En France, le public de Molière le comprendra.

Pour jouer cette pièce, il faut alors une véritable troupe.

Oui et c’est une rencontre particulière. La compagnie des Petits Champs a 10 ans cette année. 10 ans de compagnonnage avec des comédiens et des comédiennes qui ont forgé cet esprit de troupe. Cette histoire a beaucoup compté dans l’élaboration du spectacle. Je n’ai pas eu besoin de rassembler des gens venus d’horizons différents. J’ai pensé cette pièce pour le groupe et avec le groupe. Là, il est central mais je ne nie pas les singularités. Ce qui fait groupe, ce sont les personnalités diverses. La grande force de ce théâtre, c’est être groupe et être chacun. Comme dans la vie. Au début, on partait avec un atout. La pièce a été répétée dans l’Eure, dans L’Étable, un endroit où on travail et où on vit ensemble. C’est une chance d’avoir ce lieu.

Vous avez réuni 15 comédiens et comédiennes sur le plateau.

J’aime faire du théâtre à plusieurs. C’est réjouissant d’avoir autant de comédiens et de comédiennes sur un plateau. C’est même un peu vertigineux de voir comment ils vont tous construire sciemment ces interactions qui créent la vie. Je suis heureux quand j’entends de la part du public : tel personnage m’a fait penser à untel ou unetelle. Cela m’émeut beaucoup de savoir comment une pièce écrite en 1762 puisse être à ce point actuelle dans la caractérisation. 

Pourquoi dites-vous que Goldoni a fait preuve d’audace ?

Il va rompre avec tous les stéréotypes de la comédie et questionne la difficulté de l’incarnation. Les mots de Goldoni deviennent les nôtres. Le choix esthétique reste celui du XVIIIe siècle. Je ne me voyais pas faire jouer les comédiens en jeans et baskets. Cette œuvre fait partie de celles qui parlent encore de nous et de ce rapport à la société.

Une Des Dernières Soirées de carnaval est une histoire de départ et aussi d’amour ?

Un personnage doit partir à un moment d’amour naissant. Doit-il renoncer à sa carrière ? C’est une question qui se pose et que chacun peut comprendre. S’il n’y a pas de péripéties, de rebondissement dans cette pièce, tout est né et fait de petits riens. Les choses se nichent dans les mots, dans les silences, dans les regards… La relation se crée pour que la parole soit prononcée.

Est-ce que cette pièce est une fête du théâtre ?

Oui, c’est une fête du théâtre. C’est d’autant plus beau que c’est du théâtre populaire. Je crois en ce théâtre qui rassemble. Goldoni permet de faire l’éloge de ce qui fait humanité.

Infos pratiques

  • Vendredi 14 février à 20 heures au Cadran à Évreux.
  • Tarifs : de 20 à 8 €. Pour les étudiants :  carte Culture.
  • Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com