Enquête : « Impression, soleil levant », quand ? Comment ?

Il y avait beaucoup de mystères. L’enquête a permis d’en lever de nombreux. Géraldine Lefebvre, attachée de conservation au Muma, musée d’art moderne André-Malraux au Havre, a mené une véritable enquête avec le musée Marmottant-Monet à Paris et Don Olson, professeur d’astrophysique à la Texas State University d’Austin aux Etats-Unis sur Impression, soleil levant, le tableau de Claude Monet qui a donné son nom au courant impressionniste. Géraldine Lefebvre raconte jeudi 8 janvier à la Galerne au Havre cette passionnante histoire, parue dans un catalogue à l’occasion de l’exposition à Paris. Une histoire faite de belles découvertes et de rencontres qui permet de dire que le tableau a été peint le 13 novembre 1872 à 7h35 dans une chambre de l’hôtel de l’Amirauté au Havre.

Vous avez beaucoup observé, étudié le tableau de Monet. Que ressentez-vous lorsque vous le regardez aujourd’hui ?

J’ai une impression de rentrer dans l’œuvre et de découvrir de nouveaux détails. Maintenant, à force de l’avoir observé, j’ai aussi l’impression de connaître chaque recoin, de voir le motif tel qu’il apparaît progressivement. Parce que c’est un motif qui apparaît progressivement. J’arrive aussi à le voir mêle par dessous. Je ne sais pas si on peut dire que tous les mystères ont été dévoilés. Néanmoins, nous avons fait un grand pas.

Pourquoi aimez-vous ce tableau ?

C’est un tableau qui me touche énormément parce qu’il a une harmonie et qu’il est emblématique du mouvement impressionniste. C’est aussi une représentation du Havre. Je suis heureuse de pouvoir parler du Havre à partir de cette peinture. Cela participe à une reconnaissance de la ville. Le travail sur cette œuvre est une belle carte de visite pour la ville. Aujourd’hui, les Américains, les Chypriotes… s’intéressent à ce sujet.

Quelle différence entre Le Havre de Monet et Le Havre d’aujourd’hui ?

Ce que l’on peut percevoir du Havre sur le tableau de Monet, on peut le percevoir en tant qu’havrais. Ces ambiances, ces couleurs, cette brume, il est possible de les voir aujourd’hui de la même manière. Je me suis rendue dans le port du Havre le même jour que Monet et c’est assez stupéfiant, fascinant. Il y a avait cette brume, cette couleur rosée. Ce qui a changé, c’est l’horizon. Il est barré par des éléments portuaires.

Comment avez-vous pu dater l’œuvre de Monet ?

J’ai travaillé avec Don Olson qui était venu au musée lors de l’été 2010 et sur le site d’Etretat avant de parvenir à dater le tableau Soleil couchant à Etretat de Monet. Fin 2013, j’ai lu plusieurs articles relatant ce fait incroyable. C’était le début d’une belle aventure : un travail commun effectué par un astrophysicien américain et une historienne de l’art. J’ai découvert un monde inconnu. Avec nos outils différents, nous sommes arrivés aux mêmes résultats. Nous avions tout d’abord proposé trous fourchettes de datation : mi-janvier, mi-novembre et décembre.

Quelle information vous a alors permis de trouver la date précise ?

Don Olson a retrouvé les bulletins météorologiques de l’année 1872, tous les jours à 8 heures du matin dans le port du Havre. Nous avons pu éliminer plusieurs dates. En janvier, il y a une tempête. En décembre, il pleut et les vents sont orientés à l’ouest. En novembre, il y a aussi une tempête. Mais, il y a une seule journée d’accalmie. Le 13 novembre 1872, le temps est calme, légèrement brumeux. Et souffle un petit vent d’est. Il faut regarder en haut à gauche, la fumée sortant de la cheminée est poussée vers l’est. Le 12 et le 14, il y a la tempête avec un vent d’ouest.

Une autre découverte a été importante. Celle de l’almanach du commerce au sein des archives. Il donne des indications sur les marées, l’ouverture de l’écluse transatlantique, les heures de lever et de coucher du soleil. Sur le tableau, l’écluse est ouverte. Si elle avait été fermée, nous aurions un gros trait noir. On voit la marée haute et un gros trois-mâts qui sort du port. Monet représente aussi le soleil. Un soleil très bas, donc d’hiver parce qu’il est plus orienté vers le sud-est. On est à 30 ou 40 minutes après son lever.

C’est un vrai « Cluedo » ?

Complètement. Cette étude fut une véritable enquête. C’est pour cette raison que ce fut très palpitant. Il y avait des journées où nous avancions très rapidement.

Comment a été reçue cette œuvre lorsqu’elle fut achevée ?

Elle n’a pas du tout été considérée. Ce sont les historiens d’art américains qui ont été les premiers à s’intéresser dans les années 1960 à l’impressionnisme français. Ils sont remis à l’honneur cette œuvre qui reste l’étendard, le flambeau de l’impressionnisme incarné.

  • Jeudi 8 janvier à 18 heures à La Galerne au Havre. Entrée libre. Renseignements au 02 35 43 22 52 ou sur www.lagalerne.com
  • Impression, soleil levant, exposition visible au musée Marmottant-Monet, 2, rue Louis-Boilly à Paris, jusqu’au 18 janvier, du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures, nocturne le jeudi jusqu’à 21 heures. Tarifs : 11 €, 6,50 €. Renseignements au 01 44 96 50 33 ou sur www.marmottan.fr