Héla Fattoumi : « la pensée de Glissant est nécessaire pour comprendre le monde »

photo : Laurent Philippe

Dans Tout-Moun (tout le monde en créole), il est question de « la puissance de la dissemblance », un notion chère à Édouard Glissant que reprennent Héla Fattoumi et Éric Lamoureux. La directrice et le directeur de Viadanse, le centre chorégraphique national de Bourgogne-Franche-Comté, reviennent dans cette nouvelle pièce à un sujet récurrent dans leur répertoire, le métissage des arts, des cultures et des langages. Au milieu d’une nature luxuriante, dix interprètes aux parcours différents et le saxophoniste Raphaël Imbert, se retrouvent dans une danse hybride et poétique pour raconter le monde. Tout-Moun est présenté mardi 30 janvier au Tangram à Évreux et jeudi 1er février à la scène nationale de Dieppe. Entretien avec Héla Fattoumi.

Quand on parcourt votre répertoire, votre rencontre avec les écrits d’Édouard Glissant semble évidente.

Oui, c’est une évidence. Nous avons découvert Édouard Glissant en 2017 à l’occasion de lectures. Par ailleurs, nous étions aussi à ce moment-là en état de choc après la mise en place du ministère de l’identité nationale. Depuis, nous avons lu ses textes poétiques, ses essais. Plus nous lisons, plus nous sommes convaincus que la pensée de Glissant est nécessaire pour comprendre la pensée du monde.

Vous avez eu besoin de temps pour vous imprégner de cette pensée.

Oui, il a fallu du temps. Les pensées, les préceptes sont assez complexes. Pas quand on l’écoute. Glissant avait cette grande capacité à rendre sa pensée limpide. Partis de cette pensée foisonnante, nous nous sommes demandés comment lui apporter une traduction esthétique et la transmettre à des artistes et des interprètes. Il fallait apporter la force et la puissance de cette pensée au plateau. Avec Éric, nous aimons nous donner du temps. Pour ce spectacle, l’enjeu était de taille. Il y avait beaucoup de chemins à explorer. Et ces chemins étaient pour nous tous une façon de se retrouver.

Comment avez-vous abordé la question de l’identité ?

L’identité n’existe que dans une relation à l’autre. C’est un horizon et elle se transforme sans cesse. Glissant développe cette notion de créolisation. Il a conscience que le monde se créolise. Cela met en présence de ce qui n’est pas soi et entraine le repli sur soi parce que cela déclenche des peurs et des résistances. Il étend ensuite cette pensée aux brassages des peuples.

Comment porter une parole politique sur un plateau ?

C’est un flux de différents langages, de corps, d’images et de musique. Les images en mouvement font écho aux paysages. Cela participe de la narration, à la structuration de la scène et de la danse. Il y a cette luxuriance des paysages de la Caraïbe. Chaque interprète surgit et disparaît dans cette scénographie. Pour Glissant, le paysage est important parce qu’il permet de connaître les autres paysages du monde. C’est une forme d’émancipation. Ce spectacle est en fait une ode à ce poète. D’ailleurs, nous faisons entendre sa voix avec des extraits d’émission radiophoniques. C’est une parole très vivante.

Vous réunissez des interprètes, originaires de différents pays, qui ont chacun leur langage artistique. Comment avez-vous écrit la danse de Tout-Moun ?

Le groupe, c’est un acte qui pose la puissance de la dissemblance, le vecteur d’élargissement de l’imaginaire. Les interprètes ont chacun une histoire, un imaginaire des corps. L’imaginaire de chacun se traduit par des danses. Nous avons écrit à partir de là une danse chorale hybridée. Avant cela, les danseurs se sont transmis la musicalité de leur danse afin que chacun puisse écrire la sienne. Cela a fait naître des danses.

Dans vos créations, la relation entre danse et musique est toujours très étroite. Pourquoi ce dialogue avec Raphaël Imbert ?

Raphaël est un improvisateur. La danse de Tout-Moun est écrite mais pas tant que cela. L’imprévisibilité, c’est aussi la créolisation. Nous avons construit une structure chorégraphique qui permet aux danseurs d’être dans la rencontre avec Raphaël. Ils ont une vraie latitude, une liberté qui leur permet de s’ajuster à sa musique. Il existe des chemins mais ceux-ci peuvent être réinventer. C’est un vrai dialogue.

 

Infos pratiques

  • Mardi 30 janvier à 20 heures au Cadran à Évreux. Tarifs : de 25 à 10 €. Pour les étudiants :  carte Culture. Réservation au 02 32 29 63 32 ou sur www.letangram.com
  • Jeudi 1er février à 20 heures à la scène nationale de Dieppe. Tarifs : 19 €, 12 €. Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr
  • Durée : 1h10