Bachar Mar-Khalifé : « La musique s’impose à moi dans le chaos »

photo : Habib Saleh

Dans On/Off, Bachar Mar-Khalifé exprime ses pensées, des espérances, quelques démons. Il le fait avec urgence, sensualité, une douce poésie et beaucoup de mystère. Pour composer ce cinquième album, le multi instrumentiste s’est installé en décembre 2019 dans la maison familiale, construite dans les montagnes au nord de Beyrouth. On/Off, baigné d’électro, de classique et de jazz, porte des émotions profondes et fait entendre le cœur de cette vie libanaise. Bachar Mar-Khalifé reprend la tournée mercredi 16 juin au 106 à Rouen où il a mené une résidence en novembre 2020. Entretien.

Ce premier concert marque un retour dans la salle où vous avez préparé cette tournée.

Ce sera un concert particulier. C’est en effet le premier de la tournée. Ce n’était pas prévu comme cela. Le hasard en a décidé autrement. Nous avons pu, amis musiciens, nous retrouver après avoir été inactifs pendant un certain temps. Lors de cette résidence, nous étions émus non seulement de retrouver une salle mais aussi de travailler avec des techniciens. C’était plutôt joyeux parce qu’il y a toujours du bonheur à refaire de la musique ensemble. Une résidence reste cependant un chantier. Je ne prépare jamais rien à l’avance. J’aime lorsque l’on part de zéro. Et c’était très intense.

Comment avez-vous vécu cet éloignement de la scène ?

Comme tout le monde. Il y a eu un moment où nous n’avions pas de questions à nous poser puisqu’il n’y avait pas d’autres alternatives. J’étais en train de monter l’album. J’ai alors mis ce temps à profit. Ce qui n’était pas si mal. Comme nous n’avions pas commencé la tournée, nous n’avons pas vécu ce moment où tout doit s’annuler. Nous avons pu être sereins et profiter de ce temps qui nous était imposé. Il y avait beaucoup de choses à faire.

Vous n’avez pas trop mal vécu ce moment alors.

Je me suis rendu compte que le concert et le rapport au public sont irremplaçables. Il y a eu quelques streaming, quelques concerts filmés mais ce n’est pas la même chose. Je me sentais reconnaissant d’avoir pu vivre ces moments d’échange qui deviennent encore plus exceptionnels. J’ai encore plus saisi que les concerts sont des instants éphémères. Comme si chaque concert était le dernier. Avant le prochain… C’est une émotion, des sensations, une manière unique de partager des choses.

Vous êtes allé composer votre cinquième album dans la maison de votre famille au Liban. Est-ce que cet endroit vous a appelé ?

C’est vraiment ça. C’est une maison en pierres dans laquelle j’allais pendant les vacances, un lieu retranché. Quand j’ai décidé d’enregistrer un nouvel album, je n’avais pas envie de m’enfermer dans un studio. Je ressentais un besoin de me connecter avec quelque chose qui existait. Je voulais me reposer sur quelque chose qui allait me donner ce dont j’avais besoin.

Quel était ce besoin ? Était-ce le silence, la volonté d’être loin d’un chaos et plongé dans des souvenirs ?

C’est un peu tout cela. Il y a les souvenirs, le plaisir de retrouver cette région. C’est le plus bel endroit au monde avec ses roches, sa luminosité, ses animaux, puis la tempête. La nature donne beaucoup mais on est aussi obligé de s’adapter aux conditions de vie. Se chauffer l’hiver est un vrai challenge. Il y a juste un poêle. Pour l’eau, c’est pareil. Il faut remplir des brocs. Quant à l’électricité, elle coupe tout le temps. Les habitants de la montagne sont des gens très généreux et très humbles. Je me sens vraiment chez moi quand je suis là-bas.

Est-ce que vous ressentiez la colère de la population au Liban ?

Bien sûr. Ce n’est pas seulement à Beyrouth qu’il y a des manifestations mais partout. Je pouvais voir les changements au quotidien. Ne serait-ce quand j’allais à l’épicerie. Le cours de la monnaie changeait tous les jours. Je vivais avec mes camarades de France. Je me sentais responsable d’eux. Il y avait des tensions dans le pays. J’ai souhaité que tout le monde en soit conscient. Cela a donné à l’enregistrement un côté sacré.

Et un côté politique aussi ?

Certains musiciens peuvent composer dans le plaisir au bout d’une plage. La musique s’impose à moi dans le chaos. Et ce, dès le premier album. C’est cela qui me pousse à créer, à pénétrer dans le noir.

Comment avez-vous gérer cet écart entre passé et présent ?

J’ai laissé les choses venir. J’ai toujours peur de trop intellectualiser. J’ai beaucoup écrit en amont. Cela allait nourrir quelque chose le lendemain.

Comment le piano a résonné dans cette maison les premières fois ?

C’est le piano sur lequel je jouais pendant les vacances d’été. C’est un vieil instrument qui est à la retraite à la montagne. Il est silencieux pendant dix mois de l’année. C’est lui qui a donné la couleur de l’album. Je l’ai accepté tel qu’il était.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez quitté la maison ?

J’étais très triste de quitter cette maison. À la fin, il y avait un vrai bordel partout. On ne pouvait plus marcher. Le dernier jour, il a fallu tout ranger. Physiquement, j’étais fatigué. Je n’avais pas bien dormi non plus pendant ce séjour. J’étais aussi content d’avoir terminé le travail, et relevé ce défi avec mes camarades. Quand on part d’un lieu, on ressent toujours des sentiments contradictoires qui restent difficiles à gérer.

Infos pratiques

  • Mercredi 16 juin à 20 heures au 106 à Rouen.
  • Tarifs : de 22,50 à 13,50 €.
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com
  • Photo : Habib Saleh