Thomas Jolly est Richard III

photo Nicolas Joubard

L’histoire continue. Une belle histoire pour la Piccola Familia qui joue, après Henry VI, Richard III de Shakespeare. Une pièce en cinq actes pour raconter l’accession au trône de Richard pendant les trois premiers et sa chute durant les deux derniers. C’est tout le talent de cette troupe et du metteur en scène que l’on retrouve. A Evreux, c’est vendredi 26 février à la scène nationale. Thomas Jolly joue Richard III, ce roi sanguinaire, machiavélique. Interview.

Doit-on voir Richard III uniquement comme un monstre ?

Dans la pièce, Richard III est un monstre parce qu’il est différent des autres êtres humains. Il a des spécificités physiques. Il a une bosse dans le dos, un bras atrophié et une jambe plus courte que l’autre. Comme il est différent, les autres ne cessent de le rejeter. Étant rejeté par le monde, il décide de s’en rejeter et va s’extraire de l’humanité. Or, trouver le salut par une déshumanisation, c’est une forme d’humanité. Richard III est aussi un monstre politique. Tous les actes de Henry VI entrent en résonnance dans Richard III. Richard est traumatisé pendant la guerre des Deux Roses. Ces jeunes gens vivent dans un royaume dévasté par des dizaines d’années de guerre. Il y a un climat délétère, des angoisses latentes. Et Richard va alimenter ce terrain-là, prospérer dessus et accéder au pouvoir. Mais quand il arrive sur le trône, il n’a aucun programme politique. Son seul objectif est d’être roi. Après, il ne sait pas quoi faire.

Est-il possible d’aimer un tel personnage ?

En tant que metteur en scène, je considère Richard comme un usurpateur, un hypocrite, un menteur, un manipulateur qui corrompt son peuple. Pour autant, l’acteur que je suis est obligé de défendre ce personnage. Son comportement peut s’expliquer par un manque d’amour de la part de sa mère, de son père, de ses frères, des femmes.

Mais c’est un roi du chaos.

Il dévoie tout, l’amour filial, la relation amoureuse, l’amitié. Il accède au pouvoir de manière usurpatrice avec des arguments plus ou moins fallacieux. Quand il accède au pouvoir, il chante une chanson de manière hystérique. Il se réjouit, s’amuse comme un gosse. Il dévoie aussi le public. La grande pirouette de Shakespeare, c’est l’aparté. Richard commence par séduire le public et en fait son complice malgré lui. Quand il a le public dans sa poche, il essaie de trouver d’autres complices. Il y a toujours une forme de fascination et de répulsion pour ces personnages détestables.

Quand il arrive au pouvoir, Richard est un héros à bout de souffle.

Il ne sait pas gérer son royaume. Ses années de règne commencent et il doit faire face à une rébellion en France avec le futur Henry VII. Néanmoins, il y a une autre chose qui travaille Richard. Il dit qu’il veut être roi et qu’il a un autre objectif secret. Je me suis longtemps demandé ce qu’était ce secret. Dans la pièce, Richard a un enfant que lui donne Lady Anne. Une des clés : il ne veut pas être roi mais engendrer une lignée de roi. Or, cet enfant ne survivra pas, Richard va perdre pied et devenir un tyran.

Est-ce difficile d’entrer dans un tel personnage ? Il y a tout d’abord une transformation physique.

Le maquillage dure 40 minutes. Pendant la pièce, il y a une évolution. Au fil de la pièce, Richard devient de plus en plus monstrueux. Je mets un dentier, je porte des lentilles. Physiquement, c’est un défi parce que je suis courbé pendant quatre heures et demie. A la fin de la pièce, mon corps me fait mal. Par ailleurs, j’ai un texte tellement énorme que je dois le prendre autrement. Je suis allé chercher dans le côté nasillard. Ce qui permet d’être encore plus dans la laideur. Sur le fond, je suis obligé d’aller gratter dans des endroits plus obscurs qui ne sont pas très jolis. Mais c’est très passionnant. Jusqu’à présent, je reste moi-même.

A-t-il été difficile d’écrire le début de la pièce ? Fallait-il un lien entre Henry VI et Richard III ?

Ce fut le plus dur et Shakespeare ne nous aide pas parce qu’il se passe 12 années entre les deux pièces et qu’il y a un problème de temps. Après moult essais, nous avons joué trois ou quatre débuts différents avant de trouver le bonne accroche. Nous nous sommes raccrochés aux images de Henry VI. C’est comme si on retournait dans le royaume. Il ne faut pas oublier que Richard III est le quatrième épisode et la fin de cette histoire. Même si elle est présentée le plus souvent comme un one-man-show.

Est-ce que cette plongée dans Shakespeare a été vertigineuse ?

C’est une histoire qui a changé ma vie professionnelle, mon rapport au théâtre et aussi la lecture que j’ai du monde. C’est un éclairage vertigineux. Cette aventure a créé une émulation, un enthousiasme. Elle a fait que le théâtre public retrouve une place.

Est-ce qu’il y aura un jour 24 heures de théâtre avec la Piccola Familia ?

J’en rêve. C’est mon rêve depuis 2009. J’en parle à tout le monde. Ce serait complètement fou. Techniquement, c’est compliqué. Il faut beaucoup d’argent. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

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