Johann Le Guillerm : « j’aime avoir la liberté de l’espace et du temps »

photo : Grégoire Korganow

Depuis plus de trente ans, Johann Le Guillerm écrit une œuvre très singulière. Et ce, la plupart du temps en solo. Il mène une réflexion sur le temps, les équilibres, le mouvement, les matières, les formes. Il remet sans cesse en question ses propres croyances. Aujourd’hui, le fondateur de la compagnie Cirque Ici ne se définit plus comme un circassien, trop réducteur pour lui, mais comme un explorateur des espaces des points de vue. Dans ses créations, il dessine des mondes intérieurs mystérieux et joue avec les limites. Il revient au cirque-théâtre à Elbeuf et au Volcan au Havre avec Terces, une suite à Secret. Entretien avec Johann Le Guillerm.

Pourquoi le mot, cirque, ne vous convient plus ?

Aujourd’hui, ce mot n’a plus de sens. On définit le cirque comme un ensemble de pratiques traditionnelles. Cela ressemble à la liste des sports admis aux Jeux olympiques. C’est très technique tout cela. Je préfère définir le cirque non pas par rapport à une histoire mais à un espace des points de vue. Tout se passe autour d’un focus central qui est l’action de l’artiste. Et je l’ouvre à des pratiques minoritaires, c’est-à-dire à ce qui ne se fait pas, ne se fait plus ou ne s’est jamais fait. Cela prend un sens différent. Je n’oublie pas que les mots sont faits pour avoir un sens. Celui de cirque n’est pas assez précis.

La dimension physique n’est plus exclusive dans le cirque.

La dimension physique est un des aspects possibles. Dans le spectacle, je fais un numéro de calligraphie. Celle-ci ne fait pas partie des pratiques circassiennes traditionnelles. Or, elle demande une réelle souplesse. 

Est-ce que cet espace des points de vue n’a pas été contraint récemment ?

Aujourd’hui, il y a de moins en moins d’espaces dans les villes avec une dimension suffisante pour implanter un chapiteau. Ce sont des décisions politiques. De plus en plus de compagnies prennent conscience de leur importance. Cela amène à créer des espaces à créer, des dispositifs avec un focus central.

Attraction est une observation autour du point. Est-ce que ce focus central vient à la suite de votre réflexion sur la notion de point qui vous occupe depuis plusieurs années ?

Oui, la réflexion part de là. L’un a une influence sur l’autre. J’ai observé le minimal qui serait le point que l’on retrouve au centre du focus central. Regardez dans la société, cet espace des points de vue est très utilisé par les politiques. Eux aussi ont compris qu’il était un espace intéressant. Mélenchon, Le Pen et Macron font des meetings dans des espaces de points de vue, en quadri-frontal. Il faudrait même se demander si cet espace n’est pas politique. Quand on est en frontal, on contraint un point de vue. En quadri-frontal, c’est tout le contraire. Ce dispositif permet d’envisager de manière différente une proposition artistique. Je reprends souvent cet exemple. Un peintre ne pense jamais à l’arrière de sa toile alors que le sculpteur a une vision globale de son œuvre. 

Vous aménagez votre espace avec des matières, des objets, des agrès. Comment les choisissez-vous ?

Ils sont issus de mon observation autour du minimal. Ils habitent l’ensemble de mon travail, font partie de mes connaissances. Je les ai rencontrés lors de mes réflexions et me permettent d’ouvrir des portes. Je matérialise ma pensée dans des matières physiques. Je travaille avec mon corps qui manipule des objets. C’est une sorte de production mécanique, même cinétique.

Pourquoi vous voit-on presque toujours seul sur scène ?

Je mène les concepts seul. J’aboutis ensuite à des prototypes que je soumets à des constructeurs. Lors de cette phase, je suis leur avancée. Je suis toujours là. Sur la piste, cela fait aussi un moment que j’y travaille seul. Je partage néanmoins Incantation avec un chef cuisinier. C’est un véritable duo avec chacun sa partie. Dans les autres spectacles, j’aime avoir la liberté de l’espace et du temps. Dans une collaboration, il est difficile d’aller au bout de son idée et il faut faire des compromis. Or, je suis très précis dans mes idées.

Vous revenez régulièrement sur Secret qui devient Terces. Pourquoi ?

J’y reviens tous les sept ans. Lors des mutations, je garde un quart de l’édition précédente, un quart de toutes les versions et j’ajoute une moitié de nouveauté. C’est un dialogue entre des choses qui n’existent pas et des matières qui se transforment. Ce sont des choses qui ont, pour moi, encore du sens. Cela m’intéresse que le public revoit ces choses qu’il n’a pas vu lors de la première fois ou qu’il a imaginées parce que les impressions se transforment avec le temps. 

Est-ce que ces différentes versions sont encore en vous ?

Oui, c’est là. Je retrouve ces choses facilement. Même les défauts s’inscrivent dans le corps.  Il faut répéter pour les corriger parce qu’ils sont liés à une appréhension. Quand celle-ci est là, le numéro est raté. Il faut alors beaucoup travailler pour inscrire une autre information dans le corps. Il est important d’oublier que l’on ne sait pas bien le faire. 

Infos pratiques

Avec le Cirque-théâtre à Elbeuf

  • Terces : mardi 26, mercredi 27 et vendredi 29 avril à 19h30, samedi 30 avril à 18 heures sous chapiteau à Elbeuf. Durée : 1h30. Spectacle à partir de 7 ans. Tarifs : 17 €, 13 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Encatation : mercredi 27 et jeudi 28 avril à 20 heures, vendredi 29 avril à 12h30 et 20 heures, samedi 30 avril à 12h30 et 20 heures au cirque-théâtre à Elbeuf. Durée : 1h30. Spectacle à partir de 16 ans. Tarifs : 36 €, 29 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 13 10 50 ou sur www.cirquetheatre-elbeuf.com

Avec Le Volcan

  • Terces : lundi 6 juin à 19h30, mardi 7 juin à 20h30, jeudi 9 juin à 19h30, vendredi 10 et samedi 11 juin à 20h30 sous chapiteau aux jardins suspendus au Havre.
  • Tarifs : de 24 à 5 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com