Bertrand Belin : « les mots sont porteurs de nitroglycérine »

photo : Edgar Berg

Dans Tambour Vision, son 7e album, Bertrand Belin ravive les sens, mêle une nouvelle fois le politique et l’intime. Il en décortique les liens à travers une écriture poétique, si distinctive et il la sublime avec cette pop élégante, minimale et percussive. Entretien avec Bertrand Belin avant son concert jeudi 17 novembre au 106 à Rouen.

Comment résonne votre tambour aujourd’hui ?

Plutôt bien. À certains endroits, la peau est bien tendue. À d’autres, elle l’est moins. C’est une bonne moyenne.

Ce tambour a un lien avec le Carnaval, une marche, une manifestation…

Aussi avec un convoi, un rassemblement, une horde. C’est le groupe, le collectif, la bande, la vie. Il y a en effet l’idée de la manifestation et du carnaval.

Dans un carnaval, on porte des masques.

Ce n’est pas tant le fait de porter un masque mais plutôt un déguisement, un travestissement. Il y a une recherche d’un envers de soi. Se déguiser a à voir avec l’outrance. Jusqu’où peut-on pousser les curseurs lors d’une cérémonie dans une société qui la produit ? Ce qui m’intéresse, c’est le fait de jouer à être quelqu’un d’autre le temps d’une journée. Quand on consent à vivre ensemble, on fait en sorte que notre liberté ne soit pas la seule à être consommée. 

Est-ce le moment où surgissent les fantômes ?

Oui, bien sûr. Cela peut s’accompagner d’un dialogue avec les défunts. D’ailleurs, la figure du squelette est très présente dans l’album. Ce sont des manifestations amicales de l’au-delà. Il faut voir les squelettes lors de défilés à Mexico au Mexique selon des rites burlesques. C’est drôle et profond.

Dans Que Dalle tout, faut-il voir aussi le fait que nous avons eu un gros appétit ?

C’est une lecture intéressante. C’est une chanson plus prosaïque qui ne se donne pas pour mission de faire la leçon. Je fais partie de cette génération qui se questionne désormais sur le sauvetage des conditions de vie. Je ne passe pas ma vie à cela, ce serait mentir. Je n’oserais pas faire une chanson sur ce sujet maintenant. Celle-ci parle de l’héritage d’une façon nerveuse et biographique. Vous avez raison d’y voir cela. J’écris avec cette liberté. Je sais que chacun a eu une enfance, une famille, une filiation… Nous grandissons entourés et nous obtenons un héritage. Nous accumulons des plaisirs et des déplaisirs. C’est un héritage fatal, opposé à l’héritage d’un patrimoine qui existe mais qui n’est pas fatal. Cet héritage n’est pas seulement un fardeau. Il est plus ou moins brûlant et heureux. Ce sont les choses partagées avec son amoureuse ou son amoureux, ses copains et ses copines, ses profs… Après, il y a la liberté de se construire soi-même.

Justement, cela nécessite de prendre du recul, comme vous le suggérez sur le visuel de l’album ?

Nous sommes conduits à prendre de la distance, de la hauteur, du recul pour ne pas nous faire prescrire des idées toutes faites. Il faut comprendre ce qui nous convient ou pas là-dedans, se rappeler de faire l’effort et de prendre le temps de la nuance. Là, il peut y avoir également de la colère. Il faut parfois taper du poing sur la table lors de combats légitimes.

Pensez-vous que la nuance soit privilégiée aujourd’hui ?

Je ne sais pas si c’est une histoire de nombre. Il est vrai que la nuance ne fait pas vendre. Alors est-ce une histoire de nombre ou de communication ? Force est de constater que nous sommes animés par ce qui fait monde. Je rencontre dans la rue des personnes avec lesquelles je peux discuter. Je tends à rester confiant.

Ce qui permet de rester en équilibre ?

Oui, bien sûr. Personne n’est immaculé. Il ne faut aller chercher cette dimension absolument vertueuse. Nous devons dealer avec nos propres contradictions.

D’où vient cette idée de scander le mot, national ?

Cela fait référence à l’organisation et non à une identité. Il ne faut pas en faire quelque chose de brûlant, un objet de fascination. Comme c’est malheureusement souvent le cas. Dans cette chanson, il flotte. Il faut faire attention car les mots sont porteurs de nitroglycérine.

Vous les employez avec une grande justesse.

Je ne veux pas avoir peur des mots et de la langue. C’est pourquoi je les emploie avec précaution. Je n’en ai pas une peur terrifiante mais je les prends au sérieux. Alors que je ne prends pas la vie au sérieux.

Infos pratiques

  • Jeudi 17 novembre à 20 heures au 106 à Rouen
  • Première partie : Arlt
  • Tarifs : de 26,50 à 17,50 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com