Six semaines de fermeture et autant d’annulations à l’Opéra de Rouen Normandie

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La situation budgétaire est devenue tellement fragile que l’Opéra de Rouen Normandie est contraint d’annuler une partie de la saison 2022-2023 pendant le printemps. Le Théâtre des Arts est fermé au public pendant six semaines. Une décision qui soulève également des différends politiques.

C’est un scénario qui se répète. L’Opéra de Rouen Normandie ferme les portes du Théâtre des Arts pendant six semaines au printemps 2023. Pas à cause d’un virus dangereux et contagieux cette fois. La raison : des contraintes financières fortes. Jeudi 2 février, le conseil d’administration s’est réuni pour discuter et voter le budget primitif de cette année 2023. Comme le rappelle Loïc Lachenal, « sans budget, la structure ne vit pas ». 

Pour parvenir à un équilibre budgétaire, il n’y avait pas d’autres solutions que d’amputer une partie de cette saison. Pour le directeur de l’Opéra de Rouen Normandie, « pas question de réfléchir à un plan social ». Cette période de moindre activité et de chômage partiel permet de « faire des économies et de terminer la saison ». Mais elle a aussi des coûts. « Une grande partie de la production est déjà engagée et nous avons une obligation de respecter ces engagements. On a tout à perdre et rien à gagner ».

Une situation tendue

Cette fragilité budgétaire provient de la hausse des coûts de l’énergie. « La facture d’électricité et de gaz est passée de 200 000 à 650 000 €. C’est un Rigoletto », s’alarme Loïc Lachenal. Le contexte inflationniste n’est pas la seule raison. Il a été la petite goutte qui a provoqué une tempête. « Le problème n’est pas nouveau », signale Catherine Morin-Desailly, sénatrice, conseillère régionale et membre du conseil d’administration de l’Opéra de Rouen Normandie. Depuis 2018 s’accumulent en effet des soucis financiers. « Depuis trois ou quatre ans, on construit des budgets à l’aveugle. Cela n’a fait que repousser les échéances. Elles nous ont rattrapés », constate Laurence Renou, vice-présidente de la Métropole Rouen Normandie en charge de la Culture et membre du conseil d’administration de l’Opéra.

Interviennent donc aussi des désaccords politiques entre la Région et la Métropole rouennaise. Catherine Morin-Desailly pointe l’attitude de Nicolas Mayer-Rossignol, maire de Rouen et président de la Métropole. « Pourquoi le président de la Métropole n’a-t-il pas entendu les avertissements ? Pourtant, il a reçu des notes et des alertes sur ce sujet. Là, on arrive au bout du bout. Il n’est pas à la hauteur de ce qui se passe. Dans les autres métropoles françaises, le bloc intercommunal subventionne plus fortement. À Rouen, c’est 2,60 € par habitant alors qu’à Limoges et Le Mans, c’est 18,60 €. Montpellier et Nice vont jusqu’à 30 €. Nicolas Mayer-Rossignol fait la sourde oreille. Il doit dire si oui ou non il tient à l’opéra. Quand on veut faire de sa ville une capitale européenne de la culture en 2028, il faut mettre en adéquation ses paroles et ses actes ».

Des arguments que réfute Laurence Renou. « La Métropole ne s’est pas désengagée et il est difficile de faire des comparaisons. Dans d’autres métropoles, l’opéra est en effet davantage porté par le bloc communal mais la métropole rouennaise porte aussi les musées, la SMAC (salle de musiques actuelles, ndlr). Sur chaque territoire, des équilibres se sont construits en fonction de leur histoire ».

Un manque de 1,7 million €

Dans le budget de plus de 13 millions €, il en manque 1,7 million. La Région apporte une subvention de 7,6 millions — « sans valoriser la chapelle Corneille », précise la sénatrice — et la Métropole, 1,3 million auquel il faut ajouter 400 000 €, somme équivalente au loyer du Théâtre des Arts. Alors qui va payer ? « La Région ne peut pas tout, toute seule. Elle n’a plus de marge de manœuvre », répond Catherine Morin-Desailly qui demande au président de la Métropole de « réajuster sa participation ».

La réponse n’est pas négative. « Nicolas Mayer-Rossignol est prêt à trouver des marges de manœuvre, à faire un effort à hauteur d’une centaine de milliers d’euros en fonctionnement, annonce Laurence Renou. La Région qui est le principal financeur a souhaité que l’opéra soit labellisé. C’est certes la reconnaissance d’une excellence, d’une exigence mais qui soumet à un cahier des charges lourd. L’opéra ne sera pas le seul à faire des efforts. Il n’y a pas de trésor caché. Tout le monde fait des efforts de manière collective pour rationaliser le fonctionnement. Le cirque-théâtre d’Elbeuf a repensé la programmation. Le 106 a renoncé à des concerts et adapte le festival Rush. De la contrainte naît autre chose ».

Dans un courrier du 2 février, Nicolas Mayer-Rossignol fait appel à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak pour trouver une solution qui « ne peut être que collective ». Il y évoque également le désengagement des Départements de la Seine-Maritime et de l’Eure.  Réponse de Bertrand Bellanger, président de La Seine-Maritime, dans un autre courrier du 3 février : « le retrait du Département de la Seine-Maritime qui contribuait au financement de l’EPCC à hauteur de 500 000 € a été acté par une décision de la commission permanente du conseil général du 7 juillet 2014. Cette décision n’a pas été brutale. Elle a été le fruit d’un dialogue nourri par Nicolas Rouly, président du Département, et le président de la Région Haute-Normandie que vous étiez, afin de clarifier les interventions de chaque collectivité dans un esprit de partenariat et de complémentarité. Surtout, cela n’avait occasionné aucune perte de recettes pour l’Opéra de Rouen Normandie puisque la Région avait compensé intégralement le retrait du conseil général ».

Un secteur fragile

L’Opéra de Rouen Normandie se trouve-t-il aujourd’hui dans une impasse ? Il y a néanmoins une volonté de « se remettre autour de la table pour trouver une solution satisfaisante et équilibrée », indique Laurence Renou. Des discussions pour maintenir « un niveau d’excellence qui résulte de la mise en réseau avec d’autres maisons de même niveau. La réputation va au-delà de la région, même de la France. De grandes voix viennent à l’Opéra. Son chef vient de renouveler son contrat », remarque Catherine Morin-Desailly.

Les conséquences désormais de ce vote du budget pour le public : des annulations de spectacles dont l’opéra participatif, Cendrillon ou Le Grand Hôtel des songes de Rossini (du 1er au 5 avril), les Notes gourmandes des 12 avril et 3 mai, le concert de l’orchestre, Cordes dansantes, des 13 et 14 avril et celui des musiciens Souvenirs et métamorphoses du 7 mai. Il faut ajouter la création, The Convert de Wim Henrericks les 4 et 6 mai.

Pour le directeur de l’Opéra de Rouen Normandie qui doit renoncer « avec une grande tristesse » à une partie de sa programmation, « ce n’est pas un choix délibéré parce qu’il n’y a pas un projet plus légitime qu’un autre. Il relève davantage d’une logique de calendrier. Dans ce genre de prise de décision, il n’y a que des mauvais choix », remarque Loïc Lachenal.

En décembre 2022, les 51 opéras et orchestres des Forces musicales ont alerté Rima Abdul Malak sur les fermetures des établissements culturels ne sont « plus une chimères ». Loïc Lachenal, également vice-président du syndicat, constate des difficultés dans les structures culturelles. « L’opéra de Montpellier a annulé une production. Chaque maison trouve des solutions différentes. Il y a eu une attention aux salaires qui ont augmenté, un fort accroissement des dépenses. Les financements publics n’ont pas compensé ces hausses. Tout cela déstabilise un secteur qui était déjà fragile ».

Infos pratiques

Les personnes qui ont déjà réservé des places seront contactées par le service de la billetterie de l’Opéra de Rouen Normandie. Elles auront le choix entre un remboursement et un report de leur billet sur une autre proposition artistique.