Quand l’amour défie le temps

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Hermann ne se souvient plus de rien. Juste quelques mots russes et un prénom, Olia, cette femme qu’il a tant aimée. Il est arrivé ce matin-là dans son service de neurologie. Treize ans plus tard, la neuropsychiatre, Léa Paule, reconnaît sa voix dans le couloir de l’hôpital. Le jeune homme n’a pas changé et va venir perturber le cours de choses, notamment celui de la vie du cardiologue, Daniel Streiberg et de sa femme Olia. Hermann est un conte de Gilles Granouillet, mis en scène par François Rancillac. Dans cette histoire d’amour, en forme d’enquête, jouée jeudi 23 février à la scène nationale de Dieppe, l’improbable et l’impossible se réalisent. Entretien avec François Rancillac.

Hermann est le cinquième texte de Gilles Granouillet que vous mettez en scène. Pourquoi ce compagnonnage ?

Gilles Granouillet est un grand auteur qui me stupéfait. Il est remarquable alors qu’il n’est pas connu à sa juste valeur. Il a une manière de raconter très particulière. On a l’impression que tout est simple. Pourtant, ça ne l’est pas. Il pose plein de questions dans son théâtre. Il est aussi un grand humaniste parce qu’il donne toujours une chance à ses personnages, même les plus encroûtés dans leur bêtise. En fait, il a une confiance dans l’humanité. C’est une vision qui me touche beaucoup.

Hermann est présenté comme un conte. Qu’y a-t-il de merveilleux dans cette histoire ?

Hermann raconte des gens normaux pour qui la vie est plus que confortable. Ils se sont construits par leur travail, leur volonté et leurs désirs. Un jour, un jeune homme tombe de la lune et va venir bouleverser leur vie. Il va les obliger à se questionner sur ce prétendu bonheur qui ne s’avère pas si complet. Ils vont alors prendre ce que la vie leur propose de nouveau. On ne sait rien d’Hermann. Il a un problème de mémoire et il ne vieillit pas. Il échappe au temps. Et il ne vieillira pas tant qu’il n’aura pas retrouvé la belle Olia. La science refuse cette hypothèse absurde mais c’est là. Le texte de Granouillet fait que l’on y croit. Cette part de merveilleux est là.

Qu’est-ce qui vous touche chez ces personnages ?

Tous pensent avoir une maîtrise de leur vie. À la fin, ils acceptent que leur château de cartes se casse la gueule. Ils acceptent de dire oui à la rencontre, au hasard.

Sont-ils en quête d’un bonheur ?

Non, pas forcément. Daniel a l’impression d’avoir rencontré la femme de sa vie. Olia, elle, a renoncé à son amour de jeunesse et profite de cette vie. Quant à Léa, elle s’éclate dans son travail. Pour elle, l’amour n’est pas le plus important. C’est sa vie professionnelle qu’elle doit réussir. La rencontre entre Daniel et elle était improbable. Peut-être réalisent-ils qu’ils se cherchaient ?

Comment avez-vous travaillé avec Clément Proust qui joue Hermann ?

Clément ne joue pas le bizarre. Le bizarre, ce sont les autres. Sa seule obsession est de retrouver Olia. Hermann est un jeune homme charmant qui a ses angoisses et des problèmes de mémoire. Pour lui, tout est simple. Ce sont les autres qui projettent sur lui cet étrange.

Comment avez-vous abordé ce texte ?

La difficulté a été d’arriver à faire en sorte que le spectateur rentre dans cette histoire, qu’elle soit crédible. Même si tout est impossible. Il n’y a rien de fantastique sur scène. Il y a juste une faille dans la réalité et cela ouvre un gouffre. La langue de Granouillet emmène là. Elle est très concrète. Elle revient parfois en arrière pour permettre d’essayer de comprendre. Avec le scénographe, (Raymond Sarti, ndlr), nous avons choisi d’aller vers de moins en moins de réalisme. Il y a juste une chaise blanche, des murs avec des stores californiens qui s’ouvrent pour laisser entrer la lumière. Comme si tout devenait poreux. On entre alors dans un univers mental, dans la tête des deux scientifiques. Dans ce temps mental, tout devient possible.

Comme « un cadeau »

C’est le deuxième temps fort de la saison de la scène nationale de Dieppe. Celui-ci est consacré à François Rancillac, comédien, metteur en scène et fondateur de la compagnie Théâtre sur Paroles. « C’est la première fois et je suis très honoré. C’est un cadeau ». Outre la pièce, Hermann, sera présentée une forme théâtrale singulière, « un ovni dans mon parcours », remarque François Rancillac. Cherchez La Faute ! invite le public autour d’une table. Chaque spectateur et chaque spectatrice reçoit un texte évoquant la Genèse. C’est l’objet de cette création datant de 2001. « Nous avons grandi avec ce spectacle et nous le reprenons régulièrement. Rien a bougé mais nous n’entendons plus les choses de la même manière ». 

Pour ce débat animé, mardi 21 février, François Rancillac s’est inspiré de La Divine Origine de Marie Balmary. « Quand j’ai lu ce texte, je suis tombé de ma chaise. J’ai eu une éducation catholique. C’était pour moi de la morale à trois francs six sous et j’ai tout envoyé paître ». Dans Cherchez La Faute !, trois lecteurs et un modérateur s’emparent du texte avec une grande liberté, interrogent une vérité et n’hésitent pas à la contredire et la critiquer afin qu’un texte ne devienne plus « un instrument de pouvoir et d’obéissance ».

Le spectacle est suivi mercredi 22 février d’une rencontre avec l’autrice, Marie Balmary, psychologue, qui décrypte les écrits fondateurs de la civilisation judéo-chrétienne.

La programmation

  • Mardi 21 février à 20 heures : Cherchez La Faute !. Durée : 1 heure
  • Mercredi 22 février à 20 heures : La Divine Origine, rencontre avec Marie Balmary. Gratuit
  • Jeudi 23 février à 20 heures : Hermann. Durée 1h30

Infos pratiques

  • Spectacles à la scène nationale de Dieppe
  • Tarifs : de 25 à 12 €
  • Réservation au 02 35 82 04 43 ou sur www.dsn.asso.fr