Valentine Cuny-Le Callet : « j’ai ressenti un sentiment d’urgence à raconter »

photo : Pierre-André Cuny

Perpendiculaire au soleil est le titre d’un récit profond et bouleversant de Valentine Cuny-Le Callet et Renaldo McGirth. Ensemble, l’étudiante et le plus jeune condamné à mort américain, incarcéré dans une prison de Floride, racontent leur correspondance, leurs rencontres, leur amitié et la réalité d’un milieu violent. Plusieurs planches de cette bande dessinée sont exposées pendant le festival Normandiebulle qui se tient les 30 septembre et 1er octobre à Darnétal. Entretien avec Valentine Cuny-Le Callet.

La peine à mort est un sujet qui surgit après certains faits divers. Est-ce cette récurrence qui vous a amené à vous engager et à entreprendre une correspondance avec un détenu ?

Oui, j’ai pris cette décision après la série d’attentats en 2015 et le discours de Marine Le Pen sur la défense de la peine de mort. Elle avait une position purement démagogique puisqu’il est impossible par les traités européens de la rétablir. Cela m’a choqué. Comme beaucoup. J’avais 19 ans. J’étais frappée et perdue par ce qui se passait et ce que j’entendais. Il y avait cependant deux choses dont j’étais certaine à 100 % : l’abolition de la peine de mort et ma conviction anticarcérale.

Comment ont commencé les échanges avec Renaldo McGirth ?

Je me suis engagée au sein de l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture et de la peine de mort), une association œcuménique. Je ne suis pas chrétienne mais je me suis retrouvée dans les convictions de ces personnes qui se servent de leur foi pour le bien commun. L’ACAT a un programme de correspondance. On ne choisit pas son détenu et on ne peut être choisi. J’ai entamé ainsi une correspondance avec Renaldo, incarcéré depuis dix ans déjà, qui était le plus jeune condamné à mort.

Est-ce que la première lettre a été difficile à écrire ?

Oui, elle a été difficile. J’ai suivi les conseils des membres de l’ACAT qui proposent une présentation de soi. J’ai écrit une lettre simple et naïve. En fait, j’ai surtout parlé des gens que j’aime.

À quel moment avez-vous décidé de transformer cette correspondance en récit ?

J’étais une étudiante en art et Renaldo, de son côté, dessine, peint, écrit de la poésie, des chansons. Toutes nos lettres faisaient images. Leurs qualités étaient telles que j’ai eu un véritable déclic. De plus, dans le cadre de mes études, j’ai pu faire un échange avec une autre école à Chicago. De là, j’ai pris un vol low cost pour rencontrer Renaldo. Nous nous sommes vus pendant trois jours d’affilée. À la suite, j’ai ressenti un sentiment d’urgence à raconter.

La forme d’un récit graphique a-t-elle été évidente pour vous ?

Non, pas au début. J’ai tout d’abord publié un livre, Le Monde dans 5 m2. Je me suis ensuite engagée dans un projet de plus longue haleine. Ce fut un pari. Je me suis mise à travailler sur un projet hybride, mélangeant plusieurs techniques, dans lequel j’ai développé mes idées et celles de Renaldo.

Quelles ont été les principales difficultés ?

Elles ont été administratives. L’administration pénitentiaire nous a mis plusieurs bâtons dans les roues. C’est ce qui a nourri aussi cette bande dessinée. À chaque fois que des lettres étaient refusées, nous récupérions ces interdits pour en faire quelque chose de plus riche.

Comment avez-vous travaillé avec Renaldo ?

Renaldo travaille énormément. Je proposais et il venait enrichir de son point de vue. Il est arrivé que mes dessins soient refusés et me soient renvoyés. Alors je lui en faisais des descriptions par écrit. Ce qui a été difficile, c’est raconter sa condition d’homme noir, condamné à mort, la violence raciale. Je me devais de prendre cela en charge. Je le devais pour lui parce que, lui, ne le pouvait pas. Je devais être dans une justesse de la représentation et de son point de vue. Il m’a aussi raconté son enfance, des événements de sa vie. Je devais ainsi illustrer des choses qui ne m’appartenaient pas. J’y ai mis toute la tendresse d’un souvenir.

Dans ce récit, vous vous attachez tous les deux aux moindres détails. Pourquoi ?

Le diable se cache dans les détails… Ce sont des révélateurs de choses tellement importantes. J’ai lu que les personnes incarcérées développent le sens du détail. Chacun peut devenir vital.

Dans ce livre, vous évoquez aussi les conditions de vie dans les prisons.

Tous ces petits détails en donnent un aperçu. C’est une malversation de cette société. Nous savons à qui nous avons affaire. Nous parlons de la peine de mort, aussi du lien entre esclavage et le système d’incarcération de masse.

Au noir et blanc, dans vos dessins, s’ajoute la couleur, celle des dessins de Renaldo.

Dans ces 430 pages, il y a une vingtaine de dessins de Renaldo, en couleurs. Je leur accorde une place toute particulière en les posant dans des cadres. Cela rythme l’album.

Que représente ce livre pour Renaldo McGirth ?

Renaldo n’a pas encore vu le livre. Je l’ai transmis à son avocate et à sa maman. La bande dessinée est un lien avec moi et avec l’extérieur. Depuis la publication, plusieurs personnes lui ont écrit. À la sortie de l’album, il m’a écrit une belle lettre. Il me dit : tu m’as fait faire partie du monde. Cette phrase m’a bouleversée et m’a fait dire que ce travail valait le coup. En fait, il faut toujours s’accrocher et chérir les petites victoires. Sinon, on se laisse écrabouiller par la violence.

Que retenez-vous de cette expérience artistique ?

Je suis toujours totalement dedans. Je continue à correspondre avec Renaldo. Je travaille sur une thèse sur la pratique d’arts plastiques aux États-Unis dans les couloirs de la mort dans la période contemporaine. Ce sujet m’occupera toute ma vie. J’en étudierai d’autres aussi.

Infos pratiques

  • Samedi 30 septembre et dimanche 1er octobre de 10 heures à 18 heures aux Tennis couverts à Darnétal
  • Tarifs : 6,20 €, 4,10 €, une journée, 8,20 €, 6,20 € les deux jours
  • Renseignements sur www.normandiebulle.com
  • Aller au festival en transport en commun avec le réseau Astuce
  • Des places sont à gagner