Un Cluedo sous l’ère soviétique

photo : Christophe Raynaud de Lage

Il faudra attendre janvier 2022 pour découvrir Nosztalgia Express au CDN de Normandie Rouen. La pièce aurait dû être jouée du 19 au 21 janvier à l’EMS à Mont-Saint-Aignan. Marc Lainé et sa troupe sont venus pour une résidence de création, dernière étape de travail de cette pièce chorale, une enquête aux multiples rebondissements qui commence avec l’insurrection hongroise.

Un musicien dépressif

Dans cette création, la musique tient à nouveau une place essentielle. Elle est signée Émile Sornin (Forever Pavot) Danny Valentin a 20 ans. Il est un chanteur à succès depuis la sortie de son tube, Seul sur le quai. Une chanson qui a asséché son inspiration. Depuis, il est enfermé dans son beau studio de répétition. Mais rien ne sort et la pression qu’exerce son agent n’y change rien. Danny affronte une sérieuse dépression, fait face à une tentative de suicide manqué. En fait, le jeune homme souffre du traumatisme de l’abandon. Ce titre, Seul sur le quai, dédié à sa mère, raconte son histoire. Le 4 novembre 1956, Daniel a 10 ans et a été abandonné sur le quai d’une gare, entre Paris et Strasbourg. Pourquoi ? C’est une séance d’hypnose conseillée par un détective privé, Monsieur Victor, qui apportera deux indices et permettra d’écrire une histoire. Ce jour-là, Simone Valentin et son garçon devaient rejoindre à Budapest un mystérieux S.D., un opposant au pouvoir et probablement le père de Danny. Quand la mère rencontre un inconnu dans le train, elle modifie ses plans. Elle fait descendre du train son fils pour le protéger et part vers la Hongrie.

Trois époques

Marc Lainé a écrit et met en scène cette folle épopée narrée, Nosztalgia Express, en quatre parties et à trois époques différentes. Il y a tout d’abord la fin des années 1960 avec cette période yéyé et le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie. Il revient ensuite en 1956, année de l’insurrection de Budapest. Après les révélations des crimes de Staline pendant le XXe Congrès, des étudiants et des ouvriers, des communistes convaincus, descendent dans la rue pour réclamer un parti à visage humain. Une manifestation qui sera réprimée violemment par les chars russes. Le metteur en scène fait un saut dans le temps pour arriver en 1989 qui voit le Mur de Berlin s’effondrer avec les régimes des pays de l’Est. C’est un périple de Paris à Budapest, avec un aller et un retour, dans un décor de studio d’enregistrement, de gare, d’hôtel, de scène, de rues, avec des flashbacks et des sauts dans le temps. Marc Lainé trouve toujours des astuces scéniques pour partir dans des road trips fabuleux.

Entre réalité et fiction

« Il était important pour moi de m’arrimer dans le réel. Cette histoire appartient à la génération de mes parents et grands-parents et elle nous fonde. Il y a eu l’espoir de tout un peuple, un idéal communiste défendu aussi par des intellectuels et des artistes français, comme Jean-Paul Sartre, Simone Signoret, Yves Montand… À un moment, ils ont pris la mesure de ce qu’était l’URSS. Tout le monde était en porte-à-faux. Cela m’interroge parce que je fais partie d’une génération qui ne s’est pas engagée politiquement ». Marc Lainé va ainsi mêler son histoire à celle de la Hongrie et du bloc de l’Est, sous la domination soviétique. Cette grande fresque raconte le monde qui vient croiser un récit intime.

  • photo : Christophe Raynaud de Lage

Marc Lainé : « Il y a une volonté de nous paralyser »

Depuis janvier 2020, Marc Lainé a pris la direction de la Comédie de Valence, le CDN Drôme-Ardèche, un territoire qu’il connaît bien. Comme celui de la Normandie puisqu’il y a présenté plusieurs spectacles et été artiste associé au CDN de Normandie Rouen. On connaît Marc Lainé, scénographe, auteur et metteur en scène, pour ces fantastiques road trip théâtraux. 

Depuis un an, vous êtes le directeur d’un lieu qui a dû resté fermer. Comme gérez-vous cela ?

J’ai pris la tête d’un lieu en pleine crise. C’est compliqué mais il faut garder la tête froide et un certain sens de l’humour. Je mesure aussi ma chance. C’est beaucoup de travail et de responsabilité. Nous sommes confrontés à une injonction contradictoire. Nous ne pouvons pas nous empêcher de nous interroger sur notre rapport à la culture. Nous sommes au moment le plus symptomatique du malaise entre le gouvernement et le milieu culturel. Nous l’avons vu avec les livres qui ont même été interdits de vente dans les supermarchés. En Belgique, le livre a été considéré comme un produit essentiel. Ici, la solution passe par les écrans. Tout cela relève plus de la méfiance que du mépris. Il y a une volonté de nous paralyser. Le 15 décembre, la décision a été de tout rouvrir. Sauf nous ! C’est symbolique. On veut empêcher le public de se cultiver et de partager. La place du théâtre est politique.

Comment est-il possible d’installer de bonnes conditions pour créer ?

C’est extrêmement difficile. Le spectacle vivant, c’est un acte généreux. Aujourd’hui, il y a une perte de sens. On fait comme si on jouait devant un public. Mais il y a une flamme qui risque de s’éteindre.