Jacques Weber : “c’est un souffle sur la grande plaie du monde”

Photo : Louise Quignon

Ce sont deux personnalités du théâtre, fortes, sensibles et éminemment talentueuses. Pascal Rambert, auteur et metteur en scène, et Jacques Weber, comédien, se retrouvent dans cette pièce de théâtre, Ranger, présentée vendredi 2 et samedi 3 février au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray. L’acteur joue le rôle d’un écrivain, honoré d’un prix littéraire. Ce soir-là, il est 23h34, il est seul dans une chambre d’hôtel, toute blanche, à Hong Kong et s’adresse au portrait de sa femme disparue une année auparavant. Il se souvient de ces moments passés à deux tout en effectuant un tri dans sa vie. Entretien avec Jacques Weber.

Retrouver un auteur et un metteur en scène, c’est continuer une histoire entamée des années plus tôt ?

Cette histoire est entamée il y a longtemps. Pascal Rambert a été le protégé du théâtre de Nice bien avant que je le dirige. Il était ce petit Rimbaud, totalement fou qui était dans tous les excès de la jeunesse. Petit à petit, il s’est forgé une philosophie, une conduite et s’est rangé pour devenir cet auteur exceptionnel. Il faut rappeler que Pascal Rambert est l’auteur français le plus joué dans le monde. Tous les deux, nous ne nous sommes jamais perdus de vue. C’est magnifique de se retrouver tant d’années après. Pendant Architecture au festival d’Avignon, nous nous baladions dans les rues et il m’a dit qu’il écrirait une pièce pour moi. Il a écrit Ranger sans que je sache de quoi il s’agissait.

Il y a une réelle complicité entre vous.

Il y a toujours eu une sorte de fraternité entre lui et moi. J’adore son enthousiasme. Pascal Rambert est très amoureux du théâtre, des acteurs, du monde, de la vie. C’est très agréable de travailler avec lui parce qu’il y a toujours de la joie.

Comment qualifieriez-vous l’écriture de Pascal Rambert ?

C’est un souffle sur la grande plaie du monde, un geste d’amour. C’est bourré d’humanité et ça ne se plaint jamais. Ça va au triple galop. C’est une révolte sensuelle et gourmande. Il y a une poésie dans sa rébellion et sa perception clinique du monde. En fait, j’ai du mal à mettre des mots. Il y a aussi quelque chose d’une aura joyeuse. C’est large et vaste. Avec Pascal Rambert, nous ne sommes pas sur une houle mais sur de hautes vagues.

Est-ce une écriture qui offre une grande liberté au comédien ?

Oui et non. Il n’y a pas de ponctuation dans ses textes. Au comédien de faire la sienne. Il ne faut pas dire Ranger au grand galop. Il faut au contraire le détailler. Quand je le joue, j’aime prendre mon temps. D’autres comédiens, comme Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, s’emparent des textes de Pascal Rambert autrement.

Les titres des pièces de Pascal Rambert sont très courts. Beaucoup ont un seul mot, comme Ranger, pour déjà dire beaucoup.

C’est énorme. Ce titre est venu d’une anecdote. Nous parlions de Roger Federer, un tennisman qui a été irascible et colérique. Il cassait ses raquettes. Un jour, il a décidé de ranger sa chambre. Pascal, aussi, s’est rangé. Il a eu besoin de se ranger pour construire une œuvre. Dans cette pièce, c’est un homme qui décide de ranger sa vie.

L’écriture de Pascal Rambert demande un engagement physique. Est-ce le cas dans Ranger ?

C’est vrai pour le théâtre en général. Tous les styles demandent avant tout un engagement physique. Il a été mis d’un coté la tête et de l’autre le corps. C’est un des grands drames de l’école française. Tout est engagement physique du corps. Tout doit accompagner le corps.

Est-ce que le personnage de Ranger est seulement dans le souvenir ?

Non, c’est ce qui est magnifique. Le passé ne le submerge pas. Il faut faire très attention à cela. Il a du chagrin mais reste dans un présent. Il reconstruit une journée, un quotidien, un amour entre sa femme et lui. Un dialogue s’installe avec la photo de sa femme. Ce texte n’est pas un monologue. C’est d’ailleurs étrange ce qui se passe entre elle et moi parce que cette photo prend vie. 

Est-ce les mots qui permettent à cet homme de rester debout ?

Écrivain, il a la chance de mettre des mots sur ses émotions. Nous ne sommes pas dans un drame beckettien. Le fait de pouvoir s’exprimer clairement lui permet d’accéder à cette décision : la rejoindre dans la mort.

Ce personnage est épris de littérature, comme vous.

Totalement, ce sont les livres qui nous sauveront, qui rendent éternels. Ranger est une ode à la littérature. Nous sommes là dans un rapport concret au monde, dans un rapport joyeux.

Infos pratiques

  • Vendredi 2 février à 20h30 et samedi 3 février à 18 heures au Rive Gauche à Saint-Étienne-du-Rouvray
  • Durée : 1h20
  • Tarifs : de 26 à 8 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 32 91 94 94 ou sur www.lerivegauche76.fr
  • Aller au spectacle en transport en commun avec le réseau Astuce