Tiphaine Raffier : « il est bien de se mettre sur les épaules d’un géant »

Photo : Simon Gosselin

Comme il est trop myope, Bucky Cantor ne pourra pas participer au Débarquement sur les cotes normandes. En 1944, le jeune professeur de sport de Newark (États-Unis) est donc réformé. Buck n’en oublie pas pour autant l’engagement, la détermination, l’héroïsme… Des valeurs, pour lui, qu’il doit enseigner à ses élèves. Or son monde si bien dessiné va s’écrouler quand survient une épidémie de poliomyélite. C’est le début de l’histoire de Némésis, le dernier roman de Philip Roth que porte à la scène Tiphaine Raffier pour questionner le sens de la vie. La pièce se joue les 21 et 22 mars au Volcan au Havre pendant le festival Déviations. Entretien avec la metteuse en scène et fondatrice de la compagnie La Femme coupée en deux.

Pour vos précédentes pièces, vous étiez l’autrice du texte. Pourquoi avez-vous choisi l’adaptation d’un roman, notamment celui de Philip Roth, Némésis ?

Le roman m’a bouleversée et j’avais envie de voir incarner Némésis. Dans cette histoire, il est question de corps malade, héroïque, coupable… Par ailleurs, il est bien parfois de pouvoir reprendre son souffle et de se mettre sur les épaules d’un géant. Cela permet aussi de travailler plus vite.

Les romans de Philip Roth ont une construction très particulière.

Oui, et il y a chez lui une chose difficile à adapter au théâtre, c’est l’ironie. Dans ses romans, il y a une ironie sous-jacente. Avec les personnages très naïfs, on peut toujours se dire que l’on ferait mieux qu’eux. Pas avec ceux de Roth. On est même en totale empathie avec cette humanité. Dans les romans, il y a aussi l’Amérique. Là, celle de l’année 1944. Pour moi, c’est un autre espace-temps. Cela permet de mieux nous regarder.

Comment avez-vous travaillé sur cette adaptation ?

J’ai beaucoup trahi. Le théâtre est l’art de l’oralité et du dialogue. Les romans de Roth sont des boucles. Dans Némésis, nous sommes dans la pensée d’un personnage. Les scènes d’anthologie sont devenues des détails et les choses inexistantes, des lignes de force.

Êtes-vous néanmoins restée fidèle au roman ?

Oui, j’ai gardé l’histoire. Il y a une première partie très sombre. C’est une pièce de guerre. Dans la deuxième, on change de genre pour aller vers la comédie musicale. C’est le genre le plus américain. Et la troisième, c’est du théâtre. J’aime raconter des histoires. Chez Roth, il y a aussi du symbolisme et de la métaphore. Pour moi, le théâtre est le véhicule le plus généreux et le plus facile pour toucher les gens. C’est une traversée, une expérience. J’ai eu envie que les spectateurs vivent ce que vit Buck.

Comment avez-vous appréhendé le personnage de Bucky ?

C’est un personnage difficile. C’est d’ailleurs tout l’objet de la pièce. Qui est ce jeune homme ? C’est par le corps que j’ai abordé ce personnage. Bucky est un athlète frustré. Il veut partir à la guerre et devenir un héros, un héros d’une tragédie grecque. C’est pour cette raison que ce roman a pour titre Némésis. Bucky porte le monde sur ses épaules. Il a à la fois une immaturité et un orgueil. Il peut être burlesque parce qu’il sait lancer un javelot mais pas faire la cour à une femme. Quant au vieux Buck, il est à l’opposé. C’est un homme déchu. Et j’ai proposé à un de mes anciens professeurs, Stuart Seide, de jouer ce personnage, juif new-yorkais. Il y avait pour moi une filiation évidente.

Faites-vous un lien avec la crise sanitaire de 2022 ?

C’est cette épidémie qui m’a donné envie de parler d’une autre épidémie. J’avais envie de parler de cette épidémie-là parce qu’elle est terminée. Donc, cela peut donner espoir. La poliomyélite est une maladie éradiquée grâce à un vaccin. Cela donne foi en la recherche et la médecine.

Infos pratiques

  • Jeudi 21 mars à 19 heures et vendredi 22 mars à 20 heures au Volcan au Havre
  • Durée : 2h45
  • Tarifs : de 25 à 5 €. Pour les étudiants : carte Culture
  • Réservation au 02 35 19 10 20 ou sur www.levolcan.com