Jalen Ngonda, l’héritier

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Jalen Ngonda, la dernière recrue du label de soul music Daptone Records, retrouve la scène du 106 à Rouen lundi 25 mars après un premier passage en solo remarquable il y a un an. Classe et lumineux. 

Lorsque le single What’s going on sort le 20 janvier 1971, le monde découvre le vrai visage de Marvin Gaye, celui d’un artiste libre, militant engagé, inventif et visionnaire. Bien sûr, on connaissait déjà son talent de soul man, ses tubes You’re all I need to get by, Your precious love ou encore I heard it through the grapevine mais ce nouveau titre lui ouvre une voie royale dans la décennie 1970. Cinquante-deux ans plus tard, le 10 avril 2023, le 106 propose dans sa programmation toujours aussi riche de découvertes épatantes un jeune type inconnu répondant au nom de Jalen Ngonda. Il joue en première partie de Thee Sacred Souls avec sa seule guitare pour tout accompagnement de sa voix perchée. Il assure le show, il sourit, il épate un public conquis par ce concert acoustique gorgé d’une soul music jouée dans sa plus simple expression, quasi-nue. La comparaison pourrait paraître prétentieuse parce que le petit Jalen n’est pas (encore) l’immense Marvin mais les faits sont là : des similitudes existent dans l’intonation et le placement de la voix, dans ces arrangements voluptueux, dans ces changements de rythmes subtils et déconcertants… 

Le voici de retour au 106 ce lundi 25 mars mais cette fois en formule groupe et après la sortie de son album, Come around and love me, disponible depuis quelques mois. Jalen Ngonda revient avec un set étoffé, de l’expérience scénique, une partie des musiciens de feu-Charles Bradley, un son plus riche et sa voix toujours aussi impressionnante, chaude et céleste. Le petit gars du Maryland qui a grandi dans un environnement familial sain et protecteur découvre la soul music de manière assez inattendue lorsque son père lui offre un DVD de la série télévisée Racines à l’âge de 10 ans. Intéressé par le sujet, le gamin enclenche le DVD mais découvre dans le menu une publicité pour un documentaire sur le groupe The Temptations. C’est la révélation. Même s’il ne voit que quelques minutes d’images, le groupe, les chorégraphies, les voix, les son… tout l’impressionn . Il passe et repasse en boucle ce teaser qui le pousse à creuser le sujet.

Son paternel lui achète un CD et le voici totalement accroc à la soul des Temptations, puis de Motown Records et tous ses trésors. Tous les disques des artistes du label de Detroit défilent les uns après autres. Jalen engrange les heures d’écoute, il saisit les codes vocaux, scotche sur Marvin Gaye et le travail d’arrangements réalisé par Norman Withfield pour The Temptations. C’est décidé, son avenir passera par la musique. Jalen Ngonda apprend le piano, la guitare, le violon et taquine d’autres instruments. Le garçon est doué et postule auprès de plusieurs écoles avec l’espoir de suivre un cursus scolaire musical, toutefois persuadé qu’aucune d’entre elles ne l’accueillera. Le talent n’a pas de frontière et, contre toute attente, le Liverpool Institute for the Performing Arts lui répond favorablement. Jalen n’a jamais quitté les États-Unis et le voici en partance pour le Vieux Continent. 

Direction la ville des Beatles, un groupe qu’il admire particulièrement depuis que son père lui a fait découvrir pour élargir sa culture. Jalen Ngonda démarre une nouvelle vie loin de ses racines. Sur place, il élargit son champ musical, dévore le répertoire immense de la pop britannique, bien sûr celui des Beatles, surtout leurs albums psychédéliques qui ont initié tant d’autres groupes durant la seconde période des années 1960 mais ne rejette pas les autres esthétiques, celles d’aujourd’hui. Son premier album témoigne certes de sa passion pour la musique du passé, dans la construction des chansons, dans les références évidentes, dans la production très marquée par le label Daptone Records qui l’a réalisé mais le jeune artiste ne ferme pas la porte au changement pour le prochain opus. Come Around And Love Me joue la carte soul mid-60 des plus classiques mais l’apport du mouvement psychédélique dans la musique, qu’elle soit rock, pop, funk ou soul, l’intrigue sérieusement et il y a fort à parier que son prochain disque détonnera totalement de celui-ci. 

En attendant, Jalen assure la promotion de son premier bébé et enchaîne les concerts depuis plusieurs mois. Quelques reprises (notamment This Can’t Be True de Eddie Holman et After The Laughter de Gene Chandler) complètent un set de concert assez fidèle à l’album avec une liste de titres profonds, harmoniques, élégants, sensuels, tendres tel ce magnifique What A Difference She Made ou ultra groovy comme le nouveau single Illusions tout juste sorti de la presse à vinyles. Chaque chanson renvoie le public plus de cinquante ans en arrière, au cœur de la Motortown Revue qui jouait régulièrement au Fox Theatre de la Motor City. À 28 ans, celui qui n’est pas sans rappeler physiquement un certain MC Solaar à l’aube de sa carrière fait preuve d’audace mais aussi d’humilité. Il sait que le chemin est encore long pour côtoyer l’âme des légendes, l’ombre de ses maîtres.    

Infos pratiques

  • Lundi 25 mars à 19h30 au 106 à Rouen
  • Première partie : MT Jones
  • Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce