Joyce El-Khoury : “je dois sentir Aïda dans mon corps”

Photo : Valtteri Hirvone

L’Opéra de Rouen Normandie ouvre vendredi 27 septembre sa saison 2024-2025 avec une valeur sûre, Aïda. Interprétée par l’orchestre, dirigé par Pierre Bleuse et mise en scène par Philipp Himmelmann, l’œuvre de Verdi est composée de tubes qui traversent toujours le temps. Joyce El-Khoury endosse le rôle d’une héroïne tourmentée et déchirée entre passion amoureuse et devoir envers son pays. Entretien avec la soprano.

Aïda est une prise de rôle pour vous. Comment avez-vous appréhendé ce personnage complexe ?

J’ai vu plusieurs fois l’opéra dans ma vie. Je l’ai aussi beaucoup écouté. Avec cette production, je découvre Aïda de manière plus personnelle parce que je dois me trouver en elle pour jouer ce personnage de manière sincère. Elle est une femme très tourmentée. Elle est entre le devoir et l’amour. Mais c’est l’amour qui guide Aïda. Elle entend les bruits de la guerre. Elle a peur pour son peuple. Elle prie et elle pleure. Elle a une seule volonté : tout le monde doit être heureux. A côté de cela, Aïda est une femme forte.

Est-elle une idéaliste ?

C’est une question difficile. D’une manière, oui parce qu’elle veut vivre dans un monde en paix où toutes et tous vivent dans la joie et réalisent leurs rêves. Ce serait son idéal. Mais elle n’oublie pas qu’elle vit dans un monde en guerre et qu’elle est une esclave. Elle est une princesse mais une esclave et sa vie ne ressemble pas du tout à ce à quoi elle aspire. Son idéalisme s’est confronté au réalisme.

Dans cette réalité, elle espère un amour qui est impossible.

Exactement. Le seul endroit pour vivre pleinement cet amour avec Radamès, c’est dans la mort. Elle n’a pas d’autre choix. Elle choisit la mort sans opter pour le suicide. C’est en effet dans la mort qu’elle peut parvenir à l’amour.

À côté de cet amour, Aïda, la princesse éthiopienne, a des devoirs à honorer.

Son père lui rappelle lors d’un duo magnifique. Il lui dit : ton peuple souffre. Il la manipule afin qu’elle lui donne des informations pour protéger son peuple. Elle subit une grande pression de la part de son père. Aïda doit sacrifier cet amour pour sa patrie. Cela me fait penser au Liban où je suis née. J’ai ensuite grandi au Canada. À chaque fois que je vais au Liban, je suis chez moi. C’est un sentiment que je ne peux pas expliquer.

Est-ce un personnage qui vous ressemble ? 

Oui, je me vois en elle, avec ce conflit entre patrie, devoir et amour. Comme chanteuse d’opéra,  qui a le privilège de chanter dans de nombreux pays, je dois sacrifier du temps, notamment ce temps pour l’amour et la famille. Je me reconnais dans différentes situations racontées dans l’opéra. Les choix sont difficiles. Parfois, je me sens forte, à d’autres moments, plus faible.

Est-ce que la partition suffit à trouver le personnage d’Aïda ?

Comme je vous ai dit. J’ai vu et écouté plusieurs fois cet opéra. Quand j’ai commencé mon travail, il n’y avait plus que la partition, et seulement la partition, qui comptait. En fait, Verdi y a tout écrit, tout indiqué. Là, je travaille pour que Aïda devienne ma Aïda qui sera une femme sensible.

Est-ce un rôle difficile à interpréter ?

Oui, très difficile. J’ai chanté Norma il y a un an. C’est gravir l’Everest. Norma est un rôle dans lequel je me suis sentie à l’aise. Aïda reste un véritable défi. Il y a tellement de paroles. L’articulation du texte avec la mélodie lance un défi à la voix. Elle exige différentes manières de chanter. Dans cet opéra, il y a des moments durs, doux, souples, aériens… Ceux-ci demandent différentes couleurs, expriment une variété de sentiments. Avec Aïda, on va de l’espoir au désespoir, de la douleur à la joie jusqu’à l’espérance dans la vie éternelle. C’est un trajet long et sinueux. Tout cela exige beaucoup vocalement et émotionnellement. C’est un travail aussi très physique parce que je dois sentir Aïda dans mon corps. Je dois vivre ce personnage. Il faut une certaine tension dans le corps pour chanter Verdi.

Aïda en quatre actes

Aïda est un opéra en quatre actes, composé par Giuseppe Verdi sur un livre d’Antonio Ghislanzoni et créé au Caire en 1871. Dans un triangle amoureux, il y a Aïda, esclave éthiopienne d’Amneris, fille du roi d’Égypte. Toutes les deux sont amoureuses de Radamès, jeune guerrier à la tête de l’armée égyptienne lors de cette guerre entre l’Égypte et l’Éthiopie. Jalouse, Amneris annonce à Aïda que Radamès est mort au combat. Ce qui plonge la seconde dans une profonde tristesse et la première dans une colère noire. Or Radamès revient vainqueur avec de nombreux prisonniers dont Amonasro, le père d’Aïda. Mais les Éthiopiens ne veulent pas s’avouer vaincus et reprennent les armes. Amonasro demande à Aïda de soutirer des infos à Radamès sur la stratégie militaire. C’est un déchirement pour la jeune femme qui accepte. Cette fois, les Éthiopiens gagnent la guerre. Aïda et son père fuient vers leur pays et Radamès est prisonnier. Il sera emmuré vivant. Aïda ira le rejoindre secrètement.

Infos pratiques

  • Vendredi 27 septembre à 20 heures, dimanche 29 septembre à 16 heures (spectacle en audio-description), mardi 1er et jeudi 3 octobre à 20 heures, samedi 5 octobre (avec gilets vibrants) à 18 heures au Théâtre des Arts à Rouen
  • Durée : 2h45
  • En italien surtitré en français
  • Tarifs : de 85 à 10 €
  • Réservation au 02 35 98 74 78 ou sur www.operaderouen.fr
  • Aller à l’opéra en transport en commun avec le réseau Astuce
  • Des places sont à gagner pour la représentation du 1er octobre