Pier Lamandé : « Il faut trouver des interstices pour aller vers l’imaginaire »

photo : Mohand Azzoug

Pier Lamandé participe à la vie du Tangram à Évreux. Il est devenu artiste associé à la scène nationale d’Évreux-Louviers et conseiller artistique et pédagogique. Comédien, dramaturge et metteur en scène, il a mené plusieurs projets théâtraux auprès de Philippe Berling, Éric Ruf, Arthur Nauzyciel, Stanislas Nordey… Il n’arrive pas en Normandie en terre inconnue puisqu’il a fait partie de la belle aventure du Henry VI de Shakespeare avec La Piccola Familia de Thomas Jolly et joué dans Presqu’Illes, un texte de Sarah Pèpe, mis en scène par Louise Dudek, artiste dieppoise. Pier Lamandé vient de terminer une première séance de travail sur Le Chant d’amour et de mort du cornette de Christophe Rilke avec Tristan Rothhut, seul en scène. Il reviendra au Tangram en avril pour une soirée d’échange avec le public, le jeudi 22. Entretien.

Quel artiste associé voulez-vous être ?

Quand Valérie Baran (directrice du Tangram, ndlr) m’a proposé de rejoindre cette magnifique aventure, nous avons parlé de partage, d’échange, de construction, des combats artistiques qui sont les nôtres. Il fallait ensuite signifier cette collaboration, trouver à quel endroit je pouvais être associé. C’est un terme presque entrepreneurial, aussi un terme générique qui permet beaucoup de liberté. Ce sont des collaborations qui se réinventent à chaque fois et m’intéressent parce qu’il y a l’idée d’un artiste pédagogue menant des ateliers, des actions culturelles, les coordonnant au sein du Tangram.

Transmettre vous a toujours importé ?

La transmission, c’est essentiel. Être transmetteur ou transmettrice sous-entend être émetteur ou émettrice d’un signal. Il le relaie, l’amplifie, le dirige à des endroits qui sont prêts à le recevoir. C’est tout à fait dans cet état d’esprit que je vais intervenir au Tangram. Il faut prendre l’idée de transmettre davantage au sens d’émettre.

Quelles sont les actions que vous avez prévues ?

Il y en a plusieurs. Nous sommes en train de construire la saison prochaine. Il y aura des actions auprès des publics, notamment dans les établissements de l’Éducation nationale et universitaires. C’est essentiel. Nous serons dans l’échange, dans l’apprentissage de l’esprit critique. Nous nous sommes aussi posé la question de la pratique théâtrale amateur. Elle m’intéresse beaucoup. Pourquoi des personnes qui créent du temps libre font le choix de faire de la musique, de la sculpture, de la peinture, de la danse, du théâtre ? Elles ont une vie professionnelle et se libèrent du temps pour une vie artistique. C’est une vraie valeur à partager. Je souhaiterais ainsi développer la possibilité de masterclass, des échanges avec ces amateurs et amatrices sur la scénographie, le son, la lumière, la communication, les problèmes administratifs. Être en fait un centre de ressources pour ces personnes.

« Au bout d’un an, cela commence à devenir difficile de faire bonne figure« 

Une scène nationale est rattachée à un territoire. Est-ce aussi une notion importante pour vous ?

Oui, la notion de territoire est importante. C’est le cœur de la décentralisation. La scène nationale est un outil pour capter des artistes de dimension nationale et internationale. Cependant, on ne montera pas les mêmes projets à Évreux qu’à Montpellier. Il y a une spécificité des territoires liée à l’histoire, aux contingences, aux acteurs et actrices civiles… Il y en a aussi à l’intérieur de ces territoires, des villes. J’ai la chance de naviguer sur plusieurs d’entre eux et je vois ces différentes identités.

Les théâtres sont fermés aux spectatrices et spectateurs. Qu’est-ce qu’un théâtre sans public ?

C’est surtout un public sans théâtre. On parle des difficultés des artistes aujourd’hui. Ce qui m’inquiète, c’est le manque de miroirs de société, d’humanité. Le théâtre est un endroit où on écoute. Il y a certes des accords et des désaccords mais on écoute jusqu’au bout. Il n’existe pas d’autres endroits permettant cela. Nous pouvons mettre en place des protocoles sanitaires. Pour toutes ces raisons-là, les théâtres devraient être ouverts non seulement pour la satisfaction des artistes, aussi pour la santé psychologique de la société. On doit pouvoir se poser dans une salle et pendre ce temps-là. La culture est un service public. Nous avons des missions de service public. Il n’y a pas d’idée de rentabilité, de merchandising. Nous ne sommes pas dans du divertissement marchand.

Comment avez-vous vécu cette année passée ?

J’ai la chance de pouvoir travailler. Il y a quelques mois, on nous a autorisés à répéter. J’ai aussi rebondi avec des échanges culturels. C’est une année très, très riche, passionnante. Mais il me manque l’adrénaline, l’échange, le débat. Au bout d’un an, cela commence à devenir difficile de faire bonne figure. Je ne veux pas me plaindre. J’ai choisi ce métier pour l’incertitude, ce besoin d’aller me confronter à de nouvelles formes, de nouvelles personnes… Aujourd’hui, cela n’existe plus.

Cette période tourmentée n’a pas été alors un frein à la créativité ?

Je rejoins Wajdi Mouawad sur ce point. La contrainte nous oblige à créer des espaces imaginaires qui nous portent. Non, elle n’a pas été un frein. Il y a désormais l’idée d’une chose qui dure et fait perdre l’essence même de ce que nous faisons. Il faut trouver des interstices pour aller vers l’imaginaire.

  • photo : Mohand Azzoug