Annette Haudiquet : « ce bâtiment d’une grande souplesse garde un air de jeunesse incroyable »

photo : Florian Kleinefenn

La phrase est connue par la plupart des habitants du Havre. « Il n’y a pas une maison comme celle-ci au monde, ni même au Brésil, ni en Russie, ni aux Etats-Unis. Souvenez-vous, Havrais que l’on dira que c’est ici que tout a commencé. » Elle a été prononcée par André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles le 24 juin 1961 lors de l’inauguration du musée-maison de la culture, ce magnifique bâtiment ouvert sur la mer. Le lieu, devenu MuMa – musée d’art moderne André-Malraux, a ressorti les photos de la journée. Entretien avec la directrice, Annette Haudiquet, conservateur en chef du Patrimoine.

Les photos le démontrent. Il y a une réelle sobriété lors de l’inauguration.

Les photos montrent des hommes recueillis, graves dans une certaine mesure. André Malraux était en grand deuil (ses deux fils disparaissent après un accident de voiture le mois précédent, ndlr). Nouveau ministre, il avait à cœur d’inaugurer un musée dans une ville meurtrie. Il y avait plutôt une solennité avec le souhait de tourner la page de la guerre et d’ouvrir une page culturelle. C’est toute la force du symbole. Les photos des personnalités disent une histoire différente de celle de nos vernissages. La journée est dense et son déroulement voulait dire toute l’ambition de ce lieu qui a changé de configuration. C’était un projet ambitieux et novateur.

Il y avait une vraie volonté politique

Oui, nous avons bien retracé l’histoire à l’occasion des 50 ans. Le projet architectural initial est bien celui d’un musée. Le plan va être exposé en 1953 au musée d’art moderne à Paris. La maquette sera présentée en même temps qu’une exposition des chefs-d’œuvre de la collection du musée du Havre. Quand la décision politique est prise par la ville et le ministère de la Culture, vient se greffer la maison de la culture. Sans que le plan ne soit modifié. Cette grande nef était ce lieu qui pouvait être modulé pour des expositions et d’autres formes artistiques.

Est-ce une utopie un peu folle ?

C’est une utopie généreuse et folle. Bouger les œuvres pour un spectacle ou un concert, c’est incomparable avec le besoin impérieux de calme et de stabilité dont elles ont besoin. Elles ne peuvent être des décors que l’on escamote. Nous sommes dans une période de pleine d’effervescence et expérimentons avec beaucoup d’envies et de désirs.

À cette époque, les expositions se succèdent rapidement

Le rythme des expositions temporaires est impressionnant. Il y en a entre 15 et 20 par an et dans différents espaces du musée. C’est une reprise d’activité. On présentait les collections. Et ce, sans une équipe de médiation. On inventait le premier musée d’après-guerre. C’est un nouveau modèle.

Il y a un homme important dans l’histoire du musée. C’est Reynold Arnould, peintre et pilote du projet architectural.

Cela tient aussi à cette époque. Reynold Arnould va aller aux États-Unis et revenir avec un savoir-faire. Ce qui nous paraît normal aujourd’hui — un musée propose des ateliers, possède une boutique — était extrêmement nouveau. Il y a une mutation. On expérimente au Japon, aux États-Unis de nouvelles formes, pas seulement dans la présentation des œuvres mais aussi dans les services associés. Reynold Arnould qui est un artiste, une belle personnalité, un bosseur incroyable a beaucoup apporté, notamment avec sa femme. Tous les deux forment un couple important dans cette vie du musée qui se construit. Sa vision s’inscrit dans celle de l’époque. Reynold Arnould, comme peintre, avec les architectes, les ingénieurs, a pensé ce bâtiment, son rapport à la lumière et au paysage comme un nouvel écrin qui doit valoriser une collection qu’il connaît bien. Il a apporté toute sa patte, son énergie et sa sensibilité. Ce musée est conçu pour le rendre accessible à tous, être un lieu de contemplation du paysage. Ce paysage qui est urbain et portuaire entre en dialogue avec les œuvres de Boudin et Pissarro. N’oublions pas que le France va bientôt passer devant.

Ressentez-vous toujours cette proximité ?

Oui, nous la ressentons toujours. Quand nous nous promenons dans les collections anciennes, au premier étage dans la partie nord, nous avons nos voisins juste de l’autre côté de la rue. Cette proximité de l’établissement fait qu’il est possible de se l’approprier. Cela contribue à entrer de manière sensible et intuitive en contact avec les collections. On ne les comprend pas de la même manière. Voir une étude de ciel de Boudin dans ce musée ouvert rend la compréhension immédiate. Cela nous complique parfois la vie parce qu’il faut protéger les œuvres de la lumière. Cependant, ce bâtiment d’une grande souplesse garde un air de jeunesse incroyable.

Vous avez gardé cette pluridisciplinarité dans la programmation, avec la musique, le cinéma…

Nous participons au décloisonnement des arts. Nous pouvons avoir une thématique avec des choses plus traditionnelles et ouvrir ce lieu à la danse, à la littérature, à la poésie et autres formes. Les musées sont des lieux de vie, de partage et d’échange. Écouter de la musique, tout en voyant le soleil se coucher et la mer clignoter, cela reste du domaine de la magie.

Comment portez-vous cette histoire, cet héritage ?

Il y a comme une antériorité qui nous oblige. Nous sommes les héritiers de cette belle idée, de cette histoire qui nous habite. La période de confinement et d’inquiétude rend davantage évident d’avoir des lieux de présentation des œuvres qui nous permettent de nous ouvrir sur le monde et à d’autres cultures. Après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, qu’invente-t-on ? Quelle espérance met-on dans ces lieux de culture, de délectation et de d’éducation ? Sur ces photos, il y a cette volonté de contribuer à changer l’humanité.

Le MuMa reste-t-il un lieu inspirant ?

Oui, c’est un lieu inspirant par ses collections et par ce dialogue assez unique entre les paysages qui ont inspiré les œuvres et les œuvres elles-mêmes, accrochées aux cimaises. Cela inspire des programmations, comme celles sur la vague, les nuages, les ports. Il y a aussi cette thématique sur laquelle je travaille qui est celle du vent. Comment représenter ce qui est invisible ? Comment les artistes ont-ils relevé le défi ? Si j’avais été dans un autre musée, jamais je n’aurais eu cette idée d’exposition. Il y a là une proximité avec les éléments et les paysages.

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