Édouard Elvis Bvouma : « même si j’écris une histoire d’amour, la politique n’est jamais loin »

Photo : Arezki Mellal

Édouard Elvis Bvouma est un auteur qui aime s’amuser, avec les mots, les situations et les contextes. Petit Guide illustré pour illustre grand guide en est un nouvel exemple. Dans cette pièce de théâtre, un écrivain pointe les différentes pratiques violentes du pouvoir en place tout en lui prodiguant des conseils quelque peu absurdes. Pendant le festival des langues françaises, Édouard Elvis Bvouma est venu entendre pour la première fois son texte, mis en espace mercredi 13 mars au théâtre des Deux-Rives à Rouen par Sara Amrous, et joué par Jacques Bonnaffé et Eytan Bracha. Le dramaturge et metteur en scène camerounais revient ainsi à Rouen après la présentation de La Poupée barbue, prix RFI Théâtre 2017, mis en scène par Lorraine de Sagazan et interprétée par une époustouflante Juliette Speck. Entretien avec l’auteur.

Quel est le point de départ de cette pièce, Petit Guide illustré pour illustre grand guide ?

Après La Poupée barbue, j’ai eu envie de revenir à une comédie, à une satire politique et à une écriture 100 % politique et drôle. Petit Guide est arrivé après la lecture du Prince de Machiavel et du Petit Prince de Saint-Exupéry qui m’a inspiré dans la construction du texte et les illustrations.

Quels liens faites-vous entre les deux livres ?

Il y a le mot, prince, qui n’a pas du tout le même sens. J’ai découvert très tard Le Prince de Machiavel. C’était il y a trois ans. À ce moment-là, je n’avais pas en tête le Petit Guide. J’avais entendu parler du Prince parce qu’il est le livre de chevet des monarques et des grands dictateurs de ce monde. Après, je suis tombé sur Le Petit Prince. Je me suis dit : encore une histoire de prince. Mais c’est une œuvre avec une autre dimension.

Pourquoi vouliez-vous revenir à une écriture politique ?

C’est une évidence, pour moi. C’est un vieux démon qui me rattrape toujours. Même si j’écris une histoire d’amour, la politique n’est jamais loin. À mes débuts, mes textes étaient très politiques et écrits d’une manière plus frontale avec des situations plus réalistes. Je revendique cela parce que le théâtre est avant tout politique. L’acte d’écrire est un acte politique. D’ailleurs, tout est politique. Comme le café que je bois. Pour qu’il me parvienne, il faut une politique commerciale. Tout est la résultante de décision politique. Et nous sommes tous complices de cela. En tant qu’auteur, je propose cet acte-là et donne mon point de vue.

À quel moment avez-vous pris conscience d’effectuer un acte politique ?

Je vis au Cameroun, dans un contexte particulier. Je vis dans un pays où la colonisation n’est pas très loin. Depuis que je suis né, je n’ai connu qu’un seul président. Quand on me parle de démocratie, ce mot ne résonne pas de la même manière. Enfant, je me souviens être allé chanter avec l’école des chansons au président. Plus on grandit, plus on se pose des questions sur ces pratiques. Quand j’ai commencé à écrire avec des amis, c’était des sketchs très politiques. Je joue de tout cela et je parviens à m’amuser. C’est aussi là que mon travail prend tout son sens. Je joins l’utile à l’agréable.

Avez-vous pensé à un homme ou une femme politique en particulier quand vous avez écrit ce Petit Guide ?

Non, c’est un ramassis. Après avoir lu les deux livres, j’ai regardé le paysage politique de mon pays et d’ailleurs et j’ai pensé à tout le monde. Ce sont tous des dictateurs. C’est juste le vase qui change de forme.

Est-ce que l’écriture est un travail laborieux pour vous ?

Oui et non. Au début, j’allais très vite. Je commençais à écrire et j’allais jusqu’au bout. Lorsque j’écris de façon laborieuse, je ne suis jamais content du résultat. Avec le temps, pour chaque pièce, je ne vais plus aussi vite. Je prends le temps de rassembler les matériaux dont j’ai besoin. Ensuite je me mets à l’écriture. Et j’y vais comme si je glissais sur une vague. Et là, je m’amuse. Mais il m’a fallu tout ce travail au préalable.

Après l’écriture, il y a une autre étape, la mise en scène. Quelle importance tient ce travail ?

C’est en effet une autre étape. Là, c’est toute la magie qui opère. J’entends le texte et je m’amuse encore plus. Des fois, je me dis : c’est moi qui ai écrit ça ? Quand on entend son texte par une autre personne, on entend les mots qui ne vont pas bien. Cela me permet de modifier des tournures. J’écris toujours pour des acteurs. La mise en scène est encore un autre travail. Je ne mets pas tous mes textes en scène. Il m’arrive d’écrire avec l’intention de mettre en scène. Les autres pièces, je les écris pour les partager.

Vous est-il déjà arrivé de vous autocensurer ?

Oui, je me pose souvent la question de l’autocensure. Nous ne pouvons pas tout dire, tout écrire, tout chanter, juste en prétextant faire de l’art. Il y a des sujets tabous partout. Tout auteur doit s’autocensurer pour ne pas être censuré. À chacun ensuite de trouver les bonnes formes, de jouer avec les non-dits et les métaphores pour exprimer ce qu’il veut.

Infos pratiques

  • Mercredi 13 mars à 20h30 au théâtre des Deux-Rives à Rouen
  • Durée : 1 heure
  • Spectacle gratuit
  • Réservation au 02 35 70 22 82 ou sur www.cdn-normandierouen.fr
  • Aller au festival en transport en commun avec le réseau Astuce