Féfé : « j’ai une zone d’ombre et je l’assume »

photo : Koria

Saïan Supa Crew, c’était il y a vingt ans. Féfé a fait partie de la folle aventure de ce collectif inventif et explosif. La suite, il l’écrit en solo avec une série d’albums, de concerts et de collaborations musicales. Son quatrième disque, Hélicoptère, est sorti le 23 février 2024. Là, il porte un regard sur son passé, avec des épisodes douloureux, et sur un présent avec lucidité. Féfé se dévoile davantage sur un rap solaire. Entretien avec l’artiste qui sera en concert jeudi 21 mars au 106 à Rouen.

Avez-vous appréhendé ce nouvel album d’une manière différente ?

Je pense que oui en raison de ce qui m’est arrivé dans la vie. J’ai écrit alors que je sortais d’une dépression. Je n’étais même pas sûr que l’album soit publié.

Où avez-vous trouvé l’élan qui vous a permis de poursuivre l’écriture ?

C’est l’instinct de survie. Il fallait que je crée pour sortir de l’apathie. La musique m’a toujours animé, fait avancer.

Vous le dites : « la musique et les rimes, c’est ce qui m’obsède ».

Oui complètement, cela m’obsède depuis vingt-cinq ans. C’est incroyable et sans fin. Pour les rimes, il y a un lien avec la langue française. J’aime beaucoup le jeu de l’écriture, le fait de réinventer cette langue et de trouver un rythme. J’adore me prendre la tête.

Vous prenez-vous la tête souvent ?

Oui, pour certains textes, je me prends vraiment la tête. Pour d’autres, non, je suis plus dans une écriture instantanée et spontanée. Je me souviens d’un élève pianiste qui sortait du conservatoire. Son prof lui a dit : maintenant tu oublies tout ce que tu as appris. C’est ce que j’essaie de faire.

Cela se fait sur plusieurs années.

Totalement. Il faut avoir au préalable tout digéré. Je comprends désormais ce que je ressens. Cela me permets de tout ressortir le plus fidèlement possible. Comme avec mon père et sa violence que j’ai subie. Aujourd’hui, j’ai fait la paix et je peux mieux écrire dessus. Je parviens à lâcher prise. Je suis imparfait mais ce n’est pas grave. Je ne veux pas correspondre à une image. Comme tout le monde, j’ai une zone d’ombre et je l’assume.

Est-ce un soulagement pour vous ?

Oui, c’est en effet un soulagement. Je n’ai pas envie de correspondre à un idéal. Cela m’ouvre en revanche d’autres voies.

Vous sentez-vous plus libre ?

Oui, totalement, cela me libère. Il m’a fallu du temps pour m’en rendez compte. Quoi que, j’ai quand même ressenti des choses.

Est-ce pour cette raison que vous avez pu regarder vers le passé ?

Oui, cela m’a permis de revenir en arrière, avec de la nostalgie. Ma première fille a 20 ans. Quand je la regarde, elle me fait penser à moi à cet âge-là. C’est une douce nostalgie, mêlée de mélancolie et de joie. Je suis très content d’être dans le temps présent. Je vis de belles choses.

Vous rêvez d’une utopie, comme dans ce titre, Quelque part.

Totalement, ce sont mes illusions, mes rêves. Comme chez beaucoup de monde mais on n’y arrive pas. Pourquoi ? Si on veut que les choses changent, il faut commencer par changer.

Pourquoi était-ce important d’affirmer votre double culture dans Africain de France ?

Parce que je suis en paix avec cela. J’ai donc pu écrire là-dessus. J’accepte cette double culture. Je ne renie ni l’une ni l’autre. Je ne mets pas l’une avant l’autre. Je n’idéalise pas. Je ne diabolise pas non plus. Les deux cultures sont là. J’ai la peau noire. C’est comme ça.

Avez-vous réussi à transmettre cette double culture ?

Oui et même plus. C’est un beau bordel. À mes filles, je leur ai appris la liberté d’être elles-mêmes. Je n’ai jamais voulu les enfermer dans un carcan. Quand je les vois, elles sont le monde. 

Infos pratiques

  • Jeudi 21 mars à 20 heures au 106 à Rouen
  • Première partie : Toutestrose
  • Tarifs : de 25 à 8 €. Pour les étudiants : carte Culture.
  • Réservation au 02 32 10 88 60 ou sur www.le106.com
  • Aller au concert en transport en commun avec le réseau Astuce