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Pierre Dumoussaud : « La musique de Pelléas et Mélisande, on ne peut que la vivre et la ressentir »

Claude Debussy (1862-1918) n’a pas fait l’unanimité à la création de Pelléas et Mélisande le 30 avril 1902 à l’Opéra comique à Paris. Au fil du temps, sa partition s’est imposée et son opéra, si romantique, est devenu une des œuvres les plus intenses et envoûtantes. Pelléas et Mélisande de Debussy est la quatrième production lyrique de la saison de l’Opéra de Rouen Normandie. Ce sera une nouvelle fois sans le public et sur les écrans. L’orchestre, avec les 60 musiciens et musiciennes, dirigé par Pierre Dumoussaud, et la troupe de chanteurs et chanteuses répètent pour jouer aux dates prévues, les 22, 24 et 26 janvier. Entretien avec le maestro qui fait son retour à Rouen après Butterfly en octobre 2018.

Cette production se crée dans des conditions particulières. Comment le vivez-vous ?

Notre planning de travail reste le même. Nous avons le même nombre de répétitions et de représentations. L’engagement physique est concret. Cela interroge néanmoins sur l’essence même de notre métier. Il va certes y avoir une existence de cette création mais elle sera diffusée sur les réseaux sociaux. Le geste n’est pas le même quand on ressent la présence du public. Même avec l’intensité de son silence. Le fait de croiser le public avant et après la représentation, pendant l’entracte, participe de l’émotion du spectacle. Il faut se mettre dans un investissement total et sincère.

Vous avez vécu ces mêmes contraintes avec la même pièce à l’Opéra de Bordeaux.

Le premier confinement a été décidé au milieu des répétitions de Pelléas et Mélisande à l’Opéra de Bordeaux. C’est une partition que je retrouve avec joie six mois plus tard. Je me rends compte que c’est une œuvre que je ne connaîtrai jamais et ne maîtriserai jamais. Comme n’importe quelle œuvre d’ailleurs mais celle-ci à un niveau supérieur. Cela force à l’humilité, engendre des interrogations sur la relation à la musique, au texte. C’est une grande œuvre.

Où est sa particularité ?

Debussy a cherché le texte qui correspondait à l’idée qu’il se faisait de l’opéra. Il l’a trouvé avec celui de Maeterlinck. Toute l’œuvre se situe dans une abstraction totale, jamais dans la description. Sa particularité vient tout d’abord du texte. Pelléas et Mélisande ne parle que de symboles. Et nous pouvons nous retrouver dans l’un ou l’autre. Et un symbole, ça se vit et résonne en nous. C’est ce qui rend une œuvre universelle. Ce texte a permis à Debussy de créer une galaxie sonore. La musique de Pelléas et Mélisande, on ne peut que la vivre et la ressentir.

Vous, à la direction de l’orchestre, vous arrive-t-il vous laisser déborder par la musique ?

Oui, je suis débordé par les émotions. D’autant que mes deux enfants sont nés pendant les répétitions à l’Opéra de Bordeaux. Chaque page de cette partition est empreinte d’émotions. Ce n’est pas un mal. Si nous sommes seulement dans l’exécution, le public le ressent. Il est nécessaire de l’incarner, de se laisser emporter par la musique.

“ Être plus dans la finesse, les variations, la fragilité ”

Qu’y a-t-il de Wagner dans cette partition de Debussy ?

Il y a l’emploi du leitmotiv. Chez Wagner, il y a souvent un langage de ces leitmotivs. Chez Debussy, ils sont des balises, des bornes qui évoquent des personnages, des atmosphères. Pelléas et Mélisande est aussi le dernier opéra romantique.

Comment avez-vous travaillé avec les chanteurs ?

Debussy a essayé d’écrire des voix chantées qui soient dans une stylisation de la voix parlée. Il a cherché à se rapprocher d’une élocution parlée dans une grande rigueur. Mais cela ne doit pas sonner comme un exercice de solfège. Le langage harmonique de Debussy est aussi d’une complexité sans pareil. Chaque personnage possède des empreintes musicales. Golaud est toujours dans une instabilité. Il ne peut se poser dans aucun pôle tonal. C’est très mouvant. Pelléas est dans une fébrilité. Il y a aussi des micro-variations dans le mouvement. Cela implique de posséder totalement le rôle. Pour Mélisande, c’est plus difficile. Elle est une femme accablée par le destin. Dès le début, elle a déjà subi des traumatismes et se fait balader là-dedans. Elle subit beaucoup ce passé, les névropathies de Golaud, l’amour de Pelléas, parce qu’il lui demande ce qu’elle ne peut pas lui donner, et cette grossesse.

Ce sont donc des rôles très difficiles.

La difficulté est double parce que ce sont des prises de rôle pour Adèle Charvet, Nicolas Courjal et Huw Montague Rendall. C’est très intéressant pour moi. Ils m’emmènent sur un terrain relativement vierge et je me nourris de leurs propositions. Je ne suis pas un chef qui parle beaucoup. Je préfère échanger avec les gestes. J’essaie de les accompagner autant que les guider.

Pour respecter les distanciations, l’orchestre est sorti de la fosse. C’est une première pour vous.

La situation est étrange parce que l’orchestre est au-dessus, sur une grande plateforme. La fosse agit comme un chaudron et crée une forme de cohérence. Là, c’est une vraie découverte. Je m’attends à ce que ce soit assez périlleux quand les chanteurs vont arriver sur scène. Comme des micros sont posés sur chaque instrument, l’enregistrement permet d’être plus dans la finesse, les variations, la fragilité.

Un trio amoureux

Claude Debussy a écrit après avoir assisté à une représentation de la pièce de Maeterlinck. Pelléas et Mélisande est un trio amoureux. Mélisande, au passé inconnu, est égarée dans la forêt où elle croise Golaud. Le prince l’invite au château et l’épouse six mois après leur rencontre. Plus tard va naître un amour sincère et passionné entre la jeune femme et le demi-frère de son mari, Pelléas. Alors qu’ils se retrouvent au bord d’une fontaine, Mélisande perd son alliance dans l’eau. Golaud, jaloux, va alors ordonner à son épouse, de chercher l’anneau avec Pelléas dans une grande obscurité. Une nuit, Pelléas et Melisande s’avouent leur amour réciproque. Cette scène va rendre furieux Golaud qui va blesser mortellement son demi-frère. Mélisande ne pourra jamais s’en remettre et mourra après avoir mis au monde une petite fillette. Il y a beaucoup de mystère et de symboles dans cet opéra, mis en scène par Éric Ruf. 

Infos pratiques

  • Trois représentations sans public vendredi 22, dimanche 24 et mardi 26 janvier au théâtre des Arts à Rouen
  • Captation et diffusion en direct mardi 26 janvier à 20 heures sur le site de l’Opéra de Rouen Normandie et ses réseaux sociaux (Facebook et Youtube) et sur La Chaîne normande
  • Enregistrement les 24 et 26 janvier par France Musique pour une diffusion ultérieure